Quand la chaleur nourrit le danger : l’essor silencieux d’une amibe mortelle sous l’effet du réchauffement climatique

Par-delà les pandémies virales et les alertes sanitaires classiques, une menace microscopique, méconnue mais redoutable, est en train de proliférer. Portée par la montée des températures mondiales, l’amibe Naegleria fowleri — surnommée « l’amibe mangeuse de cerveau » — gagne du terrain. Et avec elle, une infection cérébrale foudroyante, presque toujours fatale, étend son emprise dans des zones jusque-là épargnées.

Naegleria fowleri prospère dans les eaux douces chaudes : lacs, étangs, piscines mal entretenues ou encore sources thermales. L’infection, aussi rare que létale, survient lorsque l’eau contaminée pénètre par le nez. L’amibe remonte alors jusqu’au cerveau via le nerf olfactif, provoquant une méningoencéphalite amibienne primitive (MAP). Les premiers symptômes — fièvre, céphalées, raideur de la nuque — laissent rapidement place à une détérioration neurologique fulgurante.

Le taux de mortalité est vertigineux : plus de 97 %. Aux États-Unis, sur 152 cas documentés depuis 1962, seuls quatre patients ont survécu. Et cette létalité s’accompagne d’un défi médical majeur : les symptômes sont souvent confondus avec ceux d’autres infections du système nerveux central, ce qui retarde un diagnostic déjà complexe.

C’est là que le changement climatique entre en scène. Car les conditions de survie de Naegleria fowleri se multiplient à mesure que la planète se réchauffe. En Inde, notamment dans l’État du Kerala, on a recensé 15 cas de MAP sur les seuls premiers mois de 2024, contre un cas par an auparavant. La plupart des victimes étaient des enfants et des adolescents, souvent infectés après une simple baignade.

Aux États-Unis, des cas sont apparus dans des régions plus septentrionales, autrefois trop froides pour accueillir l’amibe. Au Pakistan, l’infection cause environ 20 décès par an. Et en Australie ou encore dans le parc national de Grand Teton, la présence de l’amibe dans des sources thermales suscite désormais la prudence.

Plus qu’une série de cas isolés, c’est une dynamique de fond qui inquiète les chercheurs. L’amibe ne se propage pas par contagion humaine, mais suit les courbes des températures moyennes. Elle devient ainsi l’un des nombreux exemples de ces pathogènes dont le développement est activé, voire accéléré, par les bouleversements climatiques.

L’un des problèmes majeurs reste le sous-diagnostic. En Inde, près de 70 % des cas de MAP ne sont jamais identifiés comme tels. Par manque de moyens, de formation, mais aussi parce que les médecins ne pensent pas à cette hypothèse devant des symptômes communs.

Or, le traitement — basé sur une combinaison d’antifongiques, d’antibiotiques et de médicaments expérimentaux — n’a de chances d’agir que s’il est administré très tôt. Mais même dans les meilleures conditions, la maladie résiste aux soins. D’où l’appel croissant à la prévention, à la surveillance des eaux, et à la sensibilisation du grand public.

Naegleria fowleri n’est ni une épidémie virale ni une maladie émergente au sens strict. Elle est l’expression d’un dérèglement écologique plus large, où des micro-organismes longtemps confinés à certaines latitudes apparaissent désormais à nos portes.

Plus qu’un simple fait divers médical, l’expansion de cette amibe met en lumière un paradoxe cruel : à mesure que les eaux se réchauffent, elles deviennent le théâtre de menaces invisibles, là où les humains cherchent fraîcheur et loisir. Une nouvelle ligne de front s’installe, discrète, silencieuse — et tragiquement sous-estimée.

Ouiza Lataman