Une équipe de chercheurs de l’Université de Barcelone vient de lever le voile sur un phénomène insidieux : bien avant leur destruction, les cellules sensorielles responsables de l’équilibre commencent à perdre leur identité biologique. Cette découverte, publiée dans Frontiers in Molecular Neuroscience en 2025, éclaire d’un jour nouveau les effets de l’ototoxicité chronique, ces atteintes progressives de l’oreille interne causées par certains médicaments ou substances chimiques.
Les scientifiques ont exposé des rongeurs à deux agents ototoxiques connus, la streptomycine et l’IDPN, afin d’observer les altérations précoces de l’épithélium vestibulaire — la région de l’oreille interne qui permet de maintenir l’équilibre. En analysant l’expression des gènes par séquençage d’ARN, ils ont constaté que les gènes caractéristiques des cellules ciliées, ces minuscules capteurs de mouvement, s’éteignaient progressivement. Autrement dit, les cellules commençaient à perdre leur spécialisation avant même de mourir.
En parallèle, les chercheurs ont observé une forte activation du gène Atf3, marqueur de stress cellulaire. Ce signal d’alerte montre que les cellules tentent de se défendre face à l’agression chimique, un peu comme un organisme qui lutte instinctivement avant la défaillance. Ce mécanisme précoce de désactivation génétique renverse la vision classique de l’ototoxicité, longtemps perçue comme un phénomène brutal entraînant la mort cellulaire.
Ces résultats suggèrent qu’il existe une phase réversible, durant laquelle les cellules sensorielles sont encore vivantes mais fonctionnent mal. Cette étape offrirait une fenêtre thérapeutique précieuse, permettant d’intervenir avant la perte définitive des fonctions d’équilibre. L’étude identifie même un nouveau gène, Vsig10l2, qui pourrait servir de biomarqueur pour détecter le stress vestibulaire à un stade précoce.
Au-delà de l’expérimentation animale, les implications pour l’humain sont importantes. Les troubles de l’équilibre, souvent attribués à des lésions irréversibles, pourraient en réalité trouver leur origine dans des dysfonctionnements cellulaires silencieux. Comprendre ces signaux précoces permettrait de repenser la prévention et le suivi des patients exposés à des traitements ototoxiques, comme certains antibiotiques ou chimiothérapies.
En dévoilant la lente agonie des cellules de l’équilibre, cette recherche ouvre une voie nouvelle : celle d’une médecine capable de protéger avant de réparer. Un pas décisif vers la compréhension fine d’un déséquilibre intérieur longtemps resté invisible.
Nouhad Ourebzani