Quatre questions au professeur Keltoum Messahli

«La maltraitance à l’encontre de l’enfant pose le problème de révélation des faits»

La violence à l’égard des enfants est une problématique alarmante qui touche toutes les sociétés, y compris la nôtre. Physique, psychologique ou encore négligence, ses formes sont multiples et ses conséquences, souvent dévastatrices, peuvent marquer les victimes à vie. Pour mieux comprendre cette réalité et explorer les moyens de la prévenir, nous avons rencontré le Professeur Keltoum Messahli, chef de service de médecine légale au CHU de Blida,  qui a bien voulu apporter un éclairage sur  les aspects médicaux, juridiques et sociaux de ce fléau.

Quels sont les types de blessures ou de signes cliniques que vous observez le plus fréquemment chez les enfants victimes de violence, et comment ces blessures diffèrent-elles selon les différentes formes de maltraitance  ?

Les violences à l’encontre des enfants que nous observons dans notre pratique courante peuvent revêtir des formes diverses. Deux situations sont fréquemment constatées : Les atteintes à l’intégrité  physique et psychologique d’un enfant (violences physiques, psychologiques et sexuelles) et les actes d’omission volontaire de soins et de protection nécessaires à la santé et au développement d’un enfant. Les situations de violences physiques entrant dans le cadre de la maltraitance revêtent des formes diverses : Hématomes, brûlures, contusions, plaies et dans les cas extrêmes fractures et hémorragies. Les violences physiques peuvent avoir des conséquences graves voire mortelles si elles ne sont pas diagnostiquées à temps.  Les mécanismes de survenue de ces traumatismes pour les plus classiques d’entre-deux se traduisent essentiellement par les coups à mains nu, les coups de pied, les projections violentes contre des surfaces dures où les coups portés par des objets divers.  Les circonstances de survenue sont représentées essentiellement par la violence intra-familiale qui concerne la grande majorité des cas de maltraitance que nous constatons. D’autres situations peuvent se voir également telle que la violence en milieu scolaire, éducatif, dans les crèches etc..  Différentes formes de violences peuvent également co-exister compliquant le tableau de la maltraitance ; l’une pouvant parfois cacher l’autre. C’est tout l’enjeu de la prise en charge médicale de ces enfants qui commence par un dépistage des souffrances latentes d’un enfant en lien avec des violences souvent non révélées.

Comment définit-on les violences psychologiques infligées aux enfants et quelles formes peuvent-elles prendre dans différents contextes ?

Les violences psychologiques sont tout aussi graves et difficiles à apprécier ou même à être suspectés parfois. Ainsi, le rejet, l’indifférence, l’isolement, le mépris ou la dévalorisation d’un enfant sont des conduites qui peuvent avoir des conséquences dramatiques sur son développement psychoaffectif et ces conséquences peuvent survenir dès l’enfance, à l’adolescence ou parfois même à l’âge adulte à travers des conduites antisociales telles que la délinquance, la toxicomanie, les fugues , les suicides , les automutilations etc..

Les répercussions psychologiques sont omniprésentes et viennent compliquer le tableau des autres formes de violences.  La maltraitance par omission de soins et de protection de l’enfant constitue également l’une des formes de maltraitance les plus courantes. Il s’agira par exemple d’enfants mis dans le circuit de la vente par les parents et qu’on retrouvera sur les abords des autoroutes exposés à tous les dangers :  accidents, agressions, intempéries etc…Il en est de même des situations de négligence des parents qui relèvent  également de maltraitances par omission. Un nombre considérable d’accidents domestiques parfois mortels concernant des enfants en bas âge le plus souvent affluent quotidiennement dans les points de garde. Brûlures, chutes de lieux élevés, noyades, blessures et intoxications sont les causes les plus fréquentes de ces accidents posant ainsi le problème de la négligence et du défaut de surveillance des adultes ayant à charge ces enfants.

Quelles  sont les principales barrières qui empêchent les victimes de violence, en particulier les enfants, de signaler leurs situations ou de recevoir de l’aide, et comment ces obstacles peuvent-ils être surmontés ?

La maltraitance à l’encontre de l’enfant pose essentiellement un problème de révélation des faits par les tiers et plus particulièrement par l’entourage de l’enfant. Souvent, les faits sont minimisés ou même occultés. Tout l’enjeu pour les médecins est justement de dépister ces situations afin de mettre en place au plus vite un protocole de prise en charge de l’enfant. De plus, l’enfant ne verbalise pas facilement son vécu contrairement à l’adulte lorsque ces violences ont lieu dans le milieu familial et c’est bien cette particularité propre à l’enfant qui rend souvent ces situations  difficiles  à identifier .  Il appartiendra ainsi au médecin de repérer certains signes d’alertes qui feront évoquer un diagnostic de maltraitances d’où l’intérêt d’une formation adéquate des personnels médicaux au dépistage des souffrances latentes et à la prise en charge de l’enfant maltraité. Une autre difficulté, celle-ci d’ordre pratique en lien avec le signalement judiciaire devant être fait par le médecin ayant constaté une situation de maltraitance d’un enfant et des procédures à mettre en place dans ce sens.  Il est important de rappeler à ce titre  que la loi 11-18 relative à la santé prévoit l’obligation pour les médecins de procéder au signalement judiciaire des cas de maltraitance à l’encontre des personnes vulnérables et particulièrement des enfants.

Comment la société algérienne peut-elle mieux sensibiliser et éduquer le public sur les effets de la violence envers les enfants et encourager les parents  à adopter des approches plus bienveillantes et protectrices ?

Face à la problématique de la maltraitance des enfants, il est essentiel de mettre en place   un circuit de prise en charge constitué d’un réseau pluridisciplinaire d’accompagnement des enfants victimes. Les intervenants essentiels sont le médecin de garde, le médecin légiste, l’officier de police judiciaire, le psychologue, l’assistante sociale, le juge des mineurs, le procureur de la république et le mouvement associatif. Un protocole de prise en charge et d’accompagnement doit ainsi être adapté en fonction des situations. Le rôle du médecin légiste est crucial. Il peut intervenir en amont et en collaboration avec le médecin traitant de l’enfant dans l’étape de la confirmation du diagnostic et accompagner l’équipe soignante dans les procédures du signalement judiciaire. Durant les procédures de l’enquête, il lui sera également demandé par la justice d’établir des rapports médico-légaux en complément de la procédure du signalement.   La problématique de la maltraitance à l’encontre des enfants est l’affaire de toute la société et implique un devoir de conscience et de citoyenneté à l’égard des enfants.

Les enfants peuvent être exposés au danger à travers des situations et dans des lieux différents. Aujourd’hui, il est question hélas d’autres formes de maltraitances tout aussi dévastatrices : La cybercriminalité et l’exposition des enfants aux réseaux pédophiles, l’utilisation des enfants dans la mendicité, les addictions aux jeux vidéo qui entravent le développement cognitif de l’enfant etc. Il est essentiel à ce titre de mettre en place des dispositifs d’alerte au niveau des lieux et des structures d’accueil des enfants et de sensibiliser la société sur les conséquences dramatiques de ces violences sur la santé, le développement et l’épanouissement des enfants.  Enfin, il est aussi important de rappeler que l’Algérie a été parmi les premières Nations à avoir ratifié la Convention Internationale des Droits de l’Enfant en 1992 suivi d’un renforcement de l’arsenal juridique  à travers notamment la loi 15-12 du 15/07/2015 relative à la protection de l’enfant , l’obligation  de procéder au signalement judiciaire prévu par  la loi relative à la santé de 2018 et des dispositions répressives particulièrement sévères dans la loi pénale concernant les agressions à l’encontre des enfants.

Propos recueillis par Ines Fouzari