À l’occasion de la Journée mondiale de la BPCO, la cheffe du service de pneumologie du CHU de Constantine, Pr Feriel Chawki, alerte sur la montée préoccupante de cette maladie en Algérie, souvent diagnostiquée trop tard. Dans cet entretien accordé à Esseha, elle revient sur les signes précoces, l’impact du tabagisme et des expositions professionnelles, les avancées thérapeutiques récentes et les priorités urgentes pour freiner l’épidémie.
Entretien réalisé par Amina Azoune
Esseha : La BPCO reste souvent diagnostiquée à un stade avancé. Quels sont aujourd’hui les signes précoces qui devraient alerter les patients et les inciter à consulter plus tôt ?
Pr Feriel CHAWKI : La BPCO (bronchopneumopathie chronique obstructive) est une maladie respiratoire caractérisée par une obstruction progressive et non complètement réversible des voies aériennes, liée à une réponse inflammatoire chronique.
Dès son stade précoce, la BPCO se manifeste par une toux chronique avec hypersécrétion mucineuse liée à l’altération de la clairance mucociliaire, ainsi que par des expectorations matinales témoignant d’une stagnation bronchique nocturne. La fermeture prématurée des petites voies aériennes provoque une dyspnée d’effort progressive, parfois associée à des sibilances et à une sensation d’oppression thoracique, signes d’une obstruction bronchiolaire inflammatoire. Ces symptômes, particulièrement chez les sujets exposés au tabagisme, aux fumées de biomasse ou aux particules professionnelles, doivent conduire à une évaluation précoce par spirométrie afin de limiter l’évolution vers une obstruction irréversible.
Esseha : Le tabagisme est connu comme principal facteur de risque, mais d’autres causes — notamment environnementales et professionnelles — semblent de plus en plus impliquées. Quelle est leur part réelle dans les cas que vous observez ?
Pr Feriel CHAWKI : Le tabagisme reste le facteur de risque principal : plus de 80 % des cas de BPCO sont liés au tabac. Mais cette proportion varie selon les régions : dans les pays à revenu faible ou intermédiaire, la part due au tabac peut être plus faible, et d’autres facteurs (pollution intérieure, biomasse) montent en puissance.
Environ 15 % des BPCO peuvent être attribuées à des expositions professionnelles (poussières minérales ou organiques, fumées, gaz, vapeurs).
Certaines études estiment que, chez les non-fumeurs, la fraction attribuable aux expositions professionnelles peut atteindre 31 à 40 %.
Il existe une synergie entre exposition professionnelle et tabagisme, ce qui multiplie le risque.
La pollution de l’air est également reconnue comme un facteur de risque de BPCO, notamment dans les pays à revenu faible ou intermédiaire.
Des polluants spécifiques comme les particules fines (PM₂.₅, PM₁₀), le NO₂, le SO₂ ou encore les HAP (hydrocarbures aromatiques polycycliques) sont impliqués dans des effets inflammatoires chroniques, des dommages oxydatifs, une altération de la clairance mucociliaire et un remodelage des petites voies aériennes, des mécanismes pathogéniques bien connus dans la BPCO (et aussi dans le cancer du poumon).
Esseha : Les traitements ont beaucoup évolué ces dernières années. Quels progrès concrets ont été réalisés dans la prise en charge de la BPCO, notamment en matière de traitements inhalés et de réhabilitation respiratoire ?
Pr Feriel CHAWKI : Au cours de la dernière décennie, la prise en charge de la BPCO a connu des avancées majeures, tant sur le plan pharmacologique que non pharmacologique. Les recommandations internationales récentes (GOLD 2023–2025) soulignent une approche individualisée fondée sur la biologie, le phénotype clinique et le risque d’exacerbation. Ces progrès ont des implications directes pour les pays d’Afrique du Nord, dont l’Algérie, où la prévalence de la BPCO est en hausse en raison du tabagisme, de l’exposition professionnelle et de la pollution atmosphérique.
Les traitements inhalés ont bénéficié de dispositifs plus performants, améliorant la déposition pulmonaire et l’observance, tandis que les combinaisons LABA/LAMA ou LABA/LAMA/ICS ont montré une réduction significative des exacerbations et une meilleure qualité de vie. Parallèlement, la réhabilitation respiratoire s’est enrichie de programmes individualisés intégrant entraînement musculaire, optimisation de la ventilation et éducation thérapeutique, permettant une amélioration nette de la tolérance à l’effort et une diminution des réhospitalisations. Ces progrès contribuent aujourd’hui à une approche plus personnalisée et plus efficace de la BPCO.
Esseha : C’est une maladie chronique qui affecte fortement la vie quotidienne. Quelles solutions existent aujourd’hui pour aider les patients à préserver leur autonomie et améliorer leur qualité de vie ?
Pr Feriel CHAWKI : La réhabilitation respiratoire constitue un pilier essentiel : elle associe entraînement à l’effort, renforcement musculaire périphérique, techniques ventilatoires et éducation thérapeutique, ce qui améliore l’endurance, la tolérance à l’exercice et la qualité de vie. Parallèlement, l’oxygénothérapie de longue durée, la ventilation non invasive à domicile pour les patients hypercapniques, ainsi que le sevrage tabagique assisté participent au maintien de l’autonomie. Enfin, les outils numériques (applications de suivi, télésurveillance) et l’adaptation de l’environnement domestique facilitent la gestion quotidienne de la maladie et réduisent les limitations fonctionnelles.
Esseha : Sur le plan de la santé publique, quelles mesures vous semblent prioritaires pour prévenir la BPCO et freiner sa progression en Algérie ?
Pr Feriel CHAWKI : Pour prévenir la BPCO et ralentir sa progression en Algérie, les priorités de santé publique doivent se concentrer sur la réduction des expositions (tabac, pollution atmosphérique, expositions professionnelles), le dépistage précoce et l’accès aux soins de prise en charge chronique. La lutte antitabac reste centrale : renforcement de la taxation, application stricte des interdictions de publicité et des lieux non-fumeurs, campagnes de prévention ciblées et programmes de sevrage accessibles contribuent fortement à réduire l’incidence de la BPCO.
La réduction de la pollution de l’air urbain et domestique (transports, industries, chauffage au bois/biomasse) doit être mise en œuvre par des normes d’émission, un contrôle des particules fines (PM2.5/PM10) et des plans locaux de qualité de l’air, car la pollution ambiante augmente les exacerbations et la morbidité respiratoire.
Il faut aussi prévenir et contrôler les expositions professionnelles (poussières, fumées, gaz) par la réglementation, la surveillance et l’utilisation d’équipements de protection afin de limiter les formes non tabagiques de BPCO. Parallèlement, renforcer le dépistage (spirométrie en soins primaires) et la formation des médecins de première ligne permet un diagnostic précoce et la mise en place de stratégies simples (arrêt du tabac, vaccinations, programmes de réhabilitation respiratoire) qui réduisent les exacerbations et améliorent la qualité de vie.
Enfin, instaurer un système national de surveillance (registres, suivi des hospitalisations et des causes) et financer la réadaptation respiratoire, la vaccination antigrippale/pneumococcique et l’accès aux traitements inhalés essentiels garantira une réduction durable de la charge de la BPCO au niveau national.
