Une étude de grande ampleur publiée dans The Lancet tire la sonnette d’alarme : près de 800 millions d’adultes dans le monde vivent aujourd’hui avec une maladie rénale chronique (CKD), soit plus du double du nombre recensé en 1990. Souvent silencieuse, cette affection s’impose désormais comme l’un des fléaux sanitaires majeurs du XXIᵉ siècle.
Selon les chercheurs du Global Burden of Disease Study 2023, la maladie touche un adulte sur sept à l’échelle planétaire. Dans la majorité des cas, les patients ignorent leur état jusqu’à un stade avancé, lorsque les reins sont déjà gravement atteints. En 2023, la CKD est devenue la neuvième cause de décès dans le monde, responsable de près de 1,5 million de morts chaque année. Elle contribuerait également à plus de 11 % des décès cardiovasculaires, confirmant le lien étroit entre reins, cœur et métabolisme.
Les disparités régionales sont particulièrement marquées. Le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord figurent parmi les zones les plus touchées, avec près d’un adulte sur cinq concerné. Dans ces régions, la progression parallèle du diabète, de l’hypertension et de l’obésité, combinée à la faiblesse du dépistage et à l’accès limité aux soins spécialisés, alimente une crise sanitaire silencieuse. Les pays à revenu intermédiaire, comme l’Algérie, sont en première ligne : diagnostics tardifs, consultations néphrologiques rares, et recours massif à la dialyse, souvent en urgence.
Les causes sont connues mais restent mal maîtrisées. Le diabète demeure le principal moteur de la dégradation rénale, suivi par l’hypertension artérielle et le surpoids. Chez les personnes âgées, la tension élevée devient le premier facteur déclenchant, tandis que la glycémie reste déterminante à tout âge. Pourtant, la sensibilisation du public reste faible : la plupart des patients découvrent leur maladie par hasard, lors d’un examen pour une autre pathologie.
Contrairement à d’autres maladies non transmissibles dont la mortalité recule, la CKD continue de progresser inexorablement. Son coût humain et financier explose : dialyses, greffes, hospitalisations répétées. Or la prévention demeure marginale dans la plupart des pays. Les chercheurs insistent sur la nécessité d’un dépistage précoce à travers des analyses simples – dosage de la créatinine sanguine et recherche d’albumine dans les urines – et d’un meilleur contrôle des facteurs métaboliques.
En Algérie, la menace est tangible. Le diabète et l’hypertension touchent déjà plusieurs millions de personnes, et les services hospitaliers constatent une augmentation continue du nombre de patients dialysés. Sans stratégie nationale de dépistage ni politique d’éducation sanitaire adaptée, le pays risque une saturation rapide de ses capacités de prise en charge. Les spécialistes appellent à une approche préventive : renforcer la médecine de proximité, former les généralistes à la détection précoce et intégrer la santé rénale dans les programmes de santé publique.
Invisible, progressive et souvent négligée, la maladie rénale chronique s’impose désormais comme une urgence mondiale. Si rien n’est fait, le nombre de malades pourrait frôler le milliard d’ici 2040. Le message des chercheurs est sans ambiguïté : la bataille pour la santé des reins se joue avant les symptômes, dans le champ discret mais décisif de la prévention.
Ouiza Lataman
