Les neurones de l’amygdale qui dictent nos émotions

Une équipe espagnole de l’Institut de neurosciences CSIC-UMH, à Alicante, vient de faire une avancée majeure dans la compréhension des troubles affectifs. Publiée le 13 mai 2025 dans la revue iScience (Cell Press), leur étude révèle qu’un type particulier de neurones situés dans l’amygdale — la zone du cerveau où se forment nos émotions — joue un rôle central dans la genèse de comportements liés à l’anxiété, à la dépression et au repli social.

Les chercheurs, dirigés par le Pr Juan Nacher, ont identifié une population précise de cellules, dites à décharge régulière, dans la partie centrolatérale de l’amygdale. Ces neurones, lorsqu’ils deviennent hyperactifs, semblent dérégler la façon dont le cerveau gère les émotions négatives. À l’inverse, leur activité normale contribue à maintenir un équilibre affectif stable.

Pour le démontrer, l’équipe a utilisé un modèle de souris génétiquement modifiées pour surexprimer un gène, Grik4, connu pour amplifier l’excitabilité des circuits neuronaux. Les animaux présentaient alors des signes comportementaux proches de la dépression et de l’anxiété : perte d’intérêt, isolement social, agitation ou apathie.

Les chercheurs ont ensuite “corrigé” cette surexpression uniquement dans une région du cerveau appelée amygdale basolatérale. Résultat : l’activité des neurones à décharge régulière de l’amygdale centrolatérale s’est normalisée, et les comportements pathologiques ont disparu. Les souris retrouvaient une attitude plus calme, une curiosité intacte et une sociabilité normale. Seule la mémoire des objets restait altérée, suggérant que cette fonction dépend d’autres circuits, notamment l’hippocampe.

Cette découverte offre une lecture radicalement nouvelle des troubles émotionnels. Elle montre que ces pathologies ne résultent pas forcément d’un déséquilibre général du cerveau, mais qu’elles peuvent naître d’un dérèglement au sein d’un micro-circuit neuronal bien précis.
« En identifiant les neurones à décharge régulière comme un point de contrôle central du comportement affectif, nous ouvrons la voie à des stratégies thérapeutiques plus ciblées », expliquent les auteurs dans leur article.

Jusqu’à présent, les traitements de la dépression ou de l’anxiété reposaient surtout sur des approches globales — médicaments ou thérapies agissant sur l’ensemble du cerveau. Cette étude suggère qu’il serait possible, à terme, de concevoir des interventions beaucoup plus fines, visant des circuits neuronaux spécifiques responsables du dérèglement émotionnel.

Les chercheurs restent toutefois prudents. Ces résultats concernent uniquement des modèles animaux. Leur transposition chez l’humain demandera du temps et de nouvelles méthodes pour moduler l’activité neuronale sans recourir à la manipulation génétique. Mais cette piste, entre neurosciences fondamentales et psychiatrie de précision, ouvre des perspectives prometteuses.

Comprendre que nos émotions les plus intimes peuvent dépendre du rythme régulier de quelques neurones nichés au cœur de l’amygdale, c’est redonner au cerveau toute sa complexité — et à la science, une boussole nouvelle pour explorer ce territoire fragile qu’est l’affect.

Nouhad Ourebzani

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