Vieillir sans oublier : la mémoire, un équilibre fragile mais réversible

Et si le déclin de la mémoire n’était pas une fatalité liée à l’âge, mais le résultat de dérèglements moléculaires que la science commence à comprendre — et à corriger ? Deux études récentes, publiées dans Neuroscience et Brain Research, révèlent que certaines modifications chimiques dans le cerveau pourraient expliquer pourquoi la mémoire faiblit avec le temps, et comment il serait possible de la restaurer.

Pendant longtemps, on a cru que la perte de mémoire provenait surtout de la disparition progressive des neurones. Les neurosciences modernes montrent qu’il s’agit plutôt d’un déséquilibre dans la communication entre les cellules, autrement dit dans la plasticité synaptique — la capacité du cerveau à créer et renforcer ses connexions.

La première étude s’est intéressée à un mécanisme peu connu, la polyubiquitination K63, un processus qui régule la fonction de nombreuses protéines dans les neurones. En observant des rats âgés, les chercheurs ont constaté que cette marque chimique augmentait anormalement dans l’hippocampe, région de la mémoire, tout en diminuant dans l’amygdale, qui gère les émotions et la mémoire affective. Ce double déséquilibre perturbe la transmission des signaux nerveux. En rétablissant expérimentalement des niveaux normaux de cette modification, les chercheurs ont réussi à restaurer la mémoire contextuelle et émotionnelle des animaux âgés. Le cerveau ne perd donc pas sa mémoire : il la désaccorde.

La seconde étude s’est penchée sur le rôle du gène Igf2, essentiel à la croissance et à la plasticité neuronale. Avec l’âge, ce gène tend à s’éteindre, non pas à cause d’une mutation, mais par un phénomène de méthylation excessive de son ADN : une sorte de verrou épigénétique qui empêche son expression. En réactivant ce gène dans l’hippocampe à l’aide d’une technique d’édition épigénétique, les chercheurs ont observé un retour partiel des capacités de mémoire et de plasticité synaptique. Là encore, la fonction n’est pas détruite : elle est bloquée, mais réversible.

Ces deux découvertes suggèrent que le vieillissement cérébral n’est pas un effondrement, mais une dérégulation fine de mécanismes biologiques précis. En d’autres termes, la mémoire peut être « réparée » si l’on parvient à corriger ces signaux moléculaires.

Ces pistes restent encore expérimentales, mais elles renforcent une conviction : le cerveau âgé garde une étonnante capacité de récupération. En attendant que la médecine moléculaire transforme ces avancées en thérapies, les leviers les plus efficaces demeurent connus : l’activité intellectuelle régulière, l’exercice physique, une alimentation équilibrée, un sommeil réparateur et la maîtrise du stress.

Vieillir sans oublier n’est peut-être plus un rêve. La science montre désormais qu’à tout âge, la mémoire n’est pas condamnée à disparaître ; elle attend simplement qu’on lui rende le bon tempo.

Ouiza Lataman

Ce site utilise des cookies pour améliorer votre expérience. Nous supposerons que vous êtes d'accord avec cela, mais vous pouvez vous désinscrire si vous le souhaitez. Accept Read More