Santé et climat : vers des dossiers médicaux qui respirent avec l’environnement

Et si les dossiers médicaux pouvaient prévoir les crises avant qu’elles ne surviennent ? C’est l’idée ambitieuse que défend une réflexion publiée dans le Journal of Medical Internet Research. Des chercheurs de Harvard et de l’organisation Hikma Health proposent d’intégrer directement dans les dossiers médicaux électroniques (DME) des données environnementales comme la qualité de l’air, la température, l’humidité ou même l’intensité des vagues de chaleur. Objectif : transformer un simple outil administratif en véritable sentinelle de santé publique.

Aujourd’hui, les DME restent des archives statiques, utiles pour retracer un parcours de soins ou alimenter des recherches a posteriori. Mais ils sont aveugles à ce qui se passe hors des murs de l’hôpital. Or, l’environnement pèse lourdement sur la santé : pollution, canicules, inondations ou incendies aggravent les maladies chroniques, augmentent les risques cardio-respiratoires et frappent de plein fouet les populations vulnérables. L’OMS estime que le changement climatique pourrait causer 250 000 décès supplémentaires par an et coûter 4 milliards de dollars chaque année dès 2030.

Dans cette perspective, enrichir les DME avec des données environnementales en temps réel ouvrirait un champ inédit. Imaginez un patient asthmatique vivant dans un quartier où l’air se dégrade brutalement : son dossier médical, relié à un réseau de capteurs et d’alertes, pourrait immédiatement informer son médecin, l’inciter à ajuster un traitement ou conseiller des mesures de protection. Le suivi médical deviendrait ainsi dynamique, anticipatif et personnalisé.

L’impact irait bien au-delà du cas individuel. Les autorités sanitaires, armées de millions de données croisées, pourraient cartographier avec précision les zones les plus exposées à un risque environnemental, déployer des campagnes ciblées et renforcer la préparation aux crises. Là où les systèmes actuels de surveillance environnementale fonctionnent souvent à retardement, cette intégration offrirait une capacité d’action en temps réel, au plus près des réalités locales.

Bien sûr, les défis sont considérables : sécuriser la confidentialité des données, adapter les logiciels de santé, financer ces évolutions dans un système de soins déjà sous tension. Mais les auteurs insistent sur un point crucial : il ne s’agit pas seulement d’une innovation technologique, mais d’un enjeu d’équité. Car ce sont toujours les plus fragiles — enfants, personnes âgées, malades chroniques, habitants de quartiers précaires — qui paient le prix le plus lourd de l’exposition aux risques environnementaux.

Intégrer l’air que nous respirons, le climat que nous subissons et les risques que nous partageons dans les outils médicaux du quotidien, c’est admettre que la santé ne s’écrit pas seulement dans le corps, mais aussi dans l’espace où il vit. C’est surtout préparer des systèmes de soins capables de protéger, d’alerter et d’anticiper, dans un monde où le climat est devenu un déterminant majeur de notre avenir collectif.

Nouhad Ourebzani

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