Dans le monde complexe et fascinant de la biologie cellulaire, il existe des moments où l’observation la plus anodine peut mener à des découvertes révolutionnaires. Pour la chimiste des protéines Daria Mochly-Rosen, un de ces moments a eu lieu lorsqu’elle était encore en troisième cycle. Un jour, dans un laboratoire, elle a observé des cellules musculaires en culture, mais ce qu’elle vit ce jour-là dépassait l’ordinaire. Devant ses yeux, de simples cellules en plastique, confinées dans une boîte fine, se contractaient de manière rythmique, mimant le battement d’un cœur.
Cet instant a été déterminant pour la carrière de Mochly-Rosen. Fascinée par ces cellules spécifiques – des myocytes cardiaques – elle a décidé d’explorer plus profondément leur fonctionnement. Les myocytes cardiaques sont les cellules musculaires qui composent le tissu cardiaque et qui, ensemble, permettent au cœur de battre et de pomper le sang dans tout le corps. Pour Mochly-Rosen, ils n’étaient pas simplement des cellules parmi d’autres ; ils sont devenus le cœur (au sens propre et figuré) de ses recherches.
Une famille d’enzymes et un mystère à résoudre
Au début de sa carrière, les recherches sur une famille d’enzymes appelées protéines kinases C se concentraient principalement sur les cellules cancéreuses. Cependant, Mochly-Rosen n’était pas convaincue par les résultats. “Les protéines kinases C semblaient toutes se comporter de manière similaire, ce qui n’avait aucun sens pour moi”, explique-t-elle. Curieuse de comprendre comment ces enzymes fonctionnaient dans un contexte différent, elle a alors décidé de tester leurs effets sur les myocytes cardiaques.
Ses expériences ont mené à une percée décisive. En étudiant les myocytes cardiaques en culture, Mochly-Rosen et son équipe ont découvert que ces enzymes affectaient directement le rythme cardiaque et la réponse du cœur face à certaines maladies. Ce fut une avancée significative qui a permis de mieux comprendre le rôle critique des protéines kinases C dans le système cardiovasculaire. “Les myocytes cardiaques ont depuis lors occupé une place spéciale dans mon cœur”, confie-t-elle avec un sourire.
La danse des myocytes : Une synchronisation parfaite
En dehors du corps, les myocytes cardiaques sont loin d’être solitaires. Lorsqu’elles sont mises en culture, ces cellules ont tendance à chercher le contact avec leurs voisines. Une fois en contact, elles commencent à battre ensemble, comme si elles étaient connectées par un rythme commun. C’est cette synchronisation qui permet au cœur, lorsqu’il est intact, de battre en harmonie et de pomper le sang de manière efficace à travers les cavités du corps humain.
Cependant, contrairement à d’autres cellules qui se multiplient et remplissent rapidement leur espace, les myocytes cardiaques ne prospèrent pas dans l’encombrement. “Si elles sont trop confinées, elles perdent leur capacité à se contracter correctement”, explique Mochly-Rosen. Dans le corps, ces cellules sont ordonnées de manière linéaire, comme des briques dans un mur, permettant ainsi au cœur d’exercer une force mécanique dirigée, essentielle pour sa fonction de pompe.
Les ressorts de la vie
Observer les myocytes au microscope révèle un spectacle fascinant. À l’intérieur de ces cellules, des structures contractiles, que Mochly-Rosen compare à des ressorts, sont responsables des contractions et relâchements continus. Cette mécanique interne est essentielle non seulement pour le battement cardiaque mais aussi pour la communication énergétique à travers tout l’organisme.
Parmi toutes les cellules du corps humain, les myocytes cardiaques sont, avec les neurones, les plus riches en mitochondries. Ces minuscules organelles, souvent qualifiées de “centrales énergétiques”, sont responsables de la production de l’énergie nécessaire aux cellules. Lorsqu’un myocyte se contracte, les ressorts internes compriment ces mitochondries, ce qui, d’une manière encore en cours d’étude, permet aux mitochondries de détecter et d’ajuster le rythme cardiaque en fonction des besoins du corps.
Un phénomène universel
La beauté du battement cardiaque ne se limite pas à l’homme. De la minuscule souris à l’immense baleine, tous les cœurs de mammifères partagent cette même organisation cellulaire. Un fait qui a profondément marqué Mochly-Rosen. “Qu’il s’agisse du cœur minuscule d’une souris ou du cœur gigantesque d’une baleine, la taille des myocytes reste relativement la même”, explique-t-elle avec émerveillement. Ce qui différencie ces cœurs est simplement le nombre de myocytes, plus nombreux chez les grands mammifères.
Cette découverte souligne l’universalité de la biologie. Quelle que soit l’échelle, du minuscule cœur d’une souris à l’énorme organe d’une baleine, ces cellules travaillent en harmonie pour assurer la même fonction vitale : maintenir le battement continu de la vie. Et grâce aux recherches de scientifiques comme Mochly-Rosen, nous comprenons un peu mieux comment ce mécanisme se met en place et comment, parfois, de simples cellules dans une boîte de Pétri peuvent révéler les secrets les plus profonds de notre existence.
Nouhad Ourebzani