Entretien réalisé par Amina Azoune
Malgré les progrès médicaux, la lutte contre la tuberculose reste un défi majeur de santé publique. En Algérie, les efforts déployés ont permis une réduction significative du nombre de cas au cours des dernières années. Toutefois, certaines difficultés demeurent, notamment les disparités régionales dans l’incidence de la maladie et la persistance d’un taux élevé de tuberculose extrapulmonaire.
Dans un entretien accordé à Esseha, le Pr Houria Haouichat, pneumologue, revient sur la situation épidémiologique en Algérie, les stratégies de prévention et les perspectives d’élimination de la maladie.
Esseha : Quelle est la situation actuelle de la tuberculose en Algérie et quelles sont les tendances observées ces dernières années ?
Pr Houria Haouichat : L’indicateur principal est le nombre de cas de tuberculose par an pour 100 000 habitants. Ce nombre est actuellement de moins de 40 cas en Algérie, il est plus élevé que les chiffres les plus bas rapportés en Europe du Nord et qui sont de moins de 5 cas/100 000 mais très largement inférieur au nombre de cas dans certains pays africains et asiatiques où on compte jusqu’à 550 cas/100 000 /an. Un deuxième indicateur est le nombre de cas de tuberculose contagieuse c’est-à-dire des patients ayant une tuberculose pulmonaire et cracheurs de bacilles et qui est actuellement de moins de 10 cas/100 000 /an.
Si on se réfère aux quinzes dernière années, le nombre de cas de tuberculose et le nombre de cas de tuberculose contagieuse ont diminué passant respectivement de 60,7 cas/100 000 et 23,1cas/100 000 en 2010 à 38,9 cas/100 000 et 8,9 cas/100 000 en 2024. Cette tendance à la baisse très significative de la situation épidémiologique de la tuberculose en Algérie traduit l’efficacité des mesures de lutte antituberculeuse et les efforts continus déployés par toutes les parties prenantes concernées par cette lutte.
En plus de l’indicateur principal, il y a d’autres indicateurs relatifs à la mortalité, à la co-infection tuberculose-VIH et à la résistance aux antituberculeux, dont les niveaux ne sont pas très préoccupants . En revanche la proportion des cas de tuberculose extrapulmonaire qui occupe actuellement plus des 2/3 des localisations de la tuberculose reste inexpliquée. La tendance à l’augmentation de cette forme de tuberculose existe depuis plusieurs années et contraste avec la diminution des cas de tuberculose pulmonaire contagieuse. Des hypothèses ont été avancées pour expliquer ce phénomène, mais elles restent à confirmer.
Enfin, bien qu’au niveau national, le nombre de cas de tuberculose dans notre pays ne soit pas alarmant, il faut cependant signaler qu’il y a des inégalités régionales et que certaines wilayas ont des incidences qui dépassent de beaucoup la moyenne nationale.
Esseha : Quels sont les principaux défis dans la prévention et le traitement de la tuberculose aujourd’hui ?
Pr Houria Haouichat :En termes de prévention par la vaccination au BCG, il est très difficile de faire mieux dans notre pays puisque la couverture vaccinale est actuellement de 98% et les résultats sont satisfaisants puisque le nombre de localisations graves et en particulier de méningites tuberculeuses chez l’enfant est très faible. Pour un effet sur les autres localisations pulmonaires et extrapulmonaires, il faut attendre les résultats de la recherche sur d’autres vaccins qui sont en cours d’évaluation.
La détection précoce des cas et leur traitement est une forme de prévention dans la mesure où on évite la dissémination du bacille tuberculeux dans les formes contagieuses.
Bien que les mesures classiques visant à détecter les cas de tuberculose et que le traitement de ces cas aient donné des résultats satisfaisants, l’OMS estime que l’élimination de la tuberculose doit être accélérée et recommande aux pays d’adopter la stratégie End TB pour mettre fin à la tuberculose d’ici 2030. Cette stratégie définit 3 cibles : une réduction de l’incidence de la tuberculose de 90% , une réduction des décès dus à la tuberculose de 95% et l’absence de charges financières de la part des ménages occasionnés par la tuberculose.
En plus des mesures classiques du programme de lutte antituberculeuse, la stratégie End TB a rajouté l’identification et la chimioprophylaxie de l’infection tuberculeuse latente chez les sujets vulnérables et les sujets contacts.
Par ailleurs, de nouvelles méthodes de diagnostic de l’infection tuberculeuse, de la tuberculose-maladie et de la résistance aux antituberculeux ont vu le jour et ont été implémentés dans beaucoup de pays de façon à garantir l’accès à la majorité des patients voire à tous les patients et à assurer un diagnostic et un traitement dans les plus brefs délais de manière à arrêter la progression de la maladie chez les patients et sa propagation dans la communauté.
L’objectif visé par cette stratégie End TB est d’obtenir une incidence de moins de 10 cas /100 00 par an. Cet objectif d’ici 2035 n’est pas impossible pour l’Algérie compte tenu de l’engagement des autorités publiques et du renforcement du programme de lutte contre la tuberculose qui a été enrichi ces dernières années par de nouvelles mesures en conformité avec les recommandations de l’OMS. C’est un défi à relever !
Esseha : Quelles sont les populations les plus vulnérables?
Pr Houria Haouichat :Ce sont tous les patients immunodéprimés (VIH, cancer…) des patients sous corticoides sytémiques, immunosuppresseurs ou biothérapie, des sujets dénutris et ceux vivant dans la précarité.
Ces personnes lorsqu’elles sont en contact avec un patient atteint de tuberculose contagieuse peuvent être plus facilement contaminées que les personnes normales, faire une tuberculose latente et développer plus tard une tuberculose-maladie. C’est la raison pour laquelle, nombre d’entre eux doivent bénéficier d’une chimioprophylaxie antituberculeuse systématique ou après dépistage de la tuberculose latente. Le programme national prévoit un traitement de la tuberculose latente chez tout sujet au contact d’un tuberculeux appartenant aux catégories suivantes : « enfant en bas âge, les candidats à un traitement anti-TNF ou biothérapie, les patients en dialyse, les patients qui se préparent à une greffe d’organe ou greffe à visée hématologique et les patients souffrant de silicose ».
Esseha : Comment évaluez-vous l’efficacité des programmes de dépistage et de vaccination en place?
Pr Houria Haouichat :L’évaluation des résultats de la lutte antituberculeuse dans toutes ses composantes est une des mesures clés du programme de lutte contre la tuberculose et s’appuie sur des indicateurs qui sont bien définis aussi bien en termes d’application des mesures sur le plan opérationnel qu’en terme de résultats.
Chaque mesure est assortie d’indices permettant d’en évaluer ses performances et les résultats sont comparés aux objectifs fixés à l’avance par le programme de manière à identifier d’éventuelles insuffisances et de les corriger.
Esseha : Quels sont les impacts des résistances aux antibiotiques sur la prise en charge des patients atteints de tuberculose?
Pr Houria Haouichat :La résistance du BK aux antituberculeux diminuent les chances de guérison, augmentent le risque de décès par tuberculose sinon celui de maladie chronique qui non seulement a un impact sur le devenir des patients atteints mais aussi contribue à propager la maladie qui plus est avec des germes résistants, ce qui aggrave le poids de la tuberculose résistante ou multirésistante. Une attention très soutenue est accordée à ces patients qui sont pris en charge par des services spécialisés avec un suivi très étroit. Ces services disposent de médicaments de deuxième et de troisième ligne et de nouveaux schémas thérapeutiques qui en plus d’être relativement moins efficaces que les médicaments de première ligne sont également plus offensifs avec des effets secondaires qui peuvent être graves.
Si la détection précoce des cas de tuberculose pulmonaire est une nécessité, elle l’est encore plus pour les tuberculoses multirésistantes qui bénéficient actuellement de tests de diagnostic rapide qui existent dans notre pays mais que l’on doit rendre encore plus accessibles.