Glaucome en Algérie : Enjeux, traitements et défis d’une maladie silencieuse-Entretien avec le Pr Asma Acheli

Entretien réalisé par Amina Azoune

Le glaucome est l’une des principales causes de cécité irréversible dans le monde, touchant des millions de personnes. En Algérie, cette pathologie demeure insuffisamment diagnostiquée et prise en charge, notamment en raison du manque de sensibilisation et des défis liés à l’accès aux soins. Pour mieux comprendre les formes les plus sévères du glaucome, les avancées thérapeutiques et les enjeux liés à sa prise en charge, nous nous sommes entretenus avec le Pr Asma Acheli, chef de service d’ophtalmologie du Centre Hospitalier Universitaire (CHU) de Blida.

Esseha : Existe-t-il des formes de glaucome plus agressives ou résistantes aux traitements, et comment les prendre en charge ?

Pr Asma Acheli : En effet, il existe des formes sévères de glaucome, particulièrement rapides dans leur évolution. En premier lieu, on retrouve le glaucome chronique à angle fermé, ainsi que les glaucomes secondaires, tels que le glaucome pigmentaire, le glaucome pseudoexfoliatif, le glaucome post-traumatique et le glaucome néovasculaire, qui survient après une rétinopathie diabétique proliférante.

Pour leur prise en charge, il est essentiel de les identifier rapidement. L’ophtalmologiste va chiffrer la vitesse de progression de la neuropathie glaucomateuse et, lorsqu’elle est élevée, un traitement agressif est nécessaire. Celui-ci repose principalement sur des collyres antiglaucomateux visant à abaisser la pression intraoculaire et ralentir la progression de la maladie. D’autres moyens, comme le laser et la chirurgie filtrante, sont également disponibles.

Esseha : Quels sont les impacts du glaucome sur la qualité de vie des patients et comment peuvent-ils adapter leur quotidien pour mieux gérer la maladie ?

Pr Asma Acheli : Le glaucome altère la qualité de vie en rétrécissant le champ visuel. Lorsque celui-ci devient tubulaire, même si le patient a une acuité visuelle de 10/10, il ne perçoit pas les objets sur les côtés, ce qui peut être dangereux pour la conduite automobile ou augmenter le risque de chutes. Pour leur sécurité, le permis de conduire est retiré aux patients atteints de glaucome avancé.

La meilleure prévention de la neuropathie glaucomateuse, prouvée par des études de grande envergure, reste l’abaissement de la pression intraoculaire, que ce soit par traitement médical, laser ou chirurgie. Cependant, le problème majeur demeure l’adhérence au traitement : près de 50 % des patients ne mettent pas leur collyre, un fait démontré par plusieurs études.

Esseha : Quels sont les derniers progrès scientifiques et technologiques dans le diagnostic et le traitement du glaucome ?

Pr Asma Acheli : Ces dernières années, des avancées technologiques ont amélioré la prise en charge du glaucome :
• Exploration et diagnostic :
• L’essor des périmètres automatisés avec des logiciels de progression permet de suivre l’évolution du champ visuel et d’évaluer la vitesse de progression du glaucome.
• L’OCT (tomographie en cohérence optique) permet de mesurer l’épaisseur des fibres optiques et de quantifier leur perte ainsi que l’évolution de la maladie.
• Traitements innovants :
• Un analogue de prostaglandine associé à un donneur d’oxyde nitrique, permet une réduction importante de la pression intraoculaire et assure une neuroprotection efficace.
• Les inhibiteurs des Rho-kinases, pouvant être prescrits seuls ou en association avec des prostaglandines, sont autorisés aux États-Unis mais ne disposent pas encore de l’AMM en Algérie.
• Les injections dimplant de prostaglandine intraoculaire, une innovation permettant aux patients d’être exempts de collyres pendant plusieurs mois, règle le problème d’adhérence au traitement.
• Chirurgie :
• L’apparition de shunts intraoculaires tels que l’iStent et de drains comme l’implant de Paul facilite la réduction de la pression intraoculaire dans les glaucoms réfractaires.

Esseha : Y a-t-il un lien entre le mode de vie (alimentation, stress, activité physique) et l’évolution du glaucome ?

Pr Asma Acheli : La prise en charge du glaucome doit d’abord commencer par sa reconnaissance en tant que maladie chronique. Actuellement, l’Algérie est le seul pays au monde où le glaucome n’est pas classé comme une maladie chronique par la Caisse de Sécurité Sociale.

Cette situation est problématique, car les patients ne bénéficient pas d’un remboursement à 100 % alors que le coût du traitement est élevé. À long terme, ne pas traiter le glaucome a également un coût social important, car un malvoyant nécessite des soins et une assistance plus lourds.

Esseha : Comment sensibiliser davantage la population algérienne à l’importance du dépistage précoce du glaucome, en particulier dans les régions où l’accès aux soins est limité ?

Pr Asma Acheli : Les études montrent que le dépistage de masse est inefficace, son impact étant limité. La meilleure approche reste la diffusion d’informations via les médias. Il est essentiel que la population sache que les personnes ayant des antécédents familiaux de glaucome ont un risque quatre fois plus élevé d’en être atteintes. Ces personnes doivent consulter un ophtalmologiste chaque année pour un dépistage précoce.

Dans les zones reculées, où il existe de véritables déserts médicaux, des campagnes de dépistage peuvent être utiles, mais la meilleure solution reste la création de centres de santé de proximité, permettant un suivi annuel régulier des patients.

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