Entretien réalisé par Amina Azoune
Le glaucome est une pathologie oculaire chronique qui représente la deuxième cause de cécité dans le monde. Malgré les avancées thérapeutiques, sa prise en charge reste un défi, notamment en matière d’observance des traitements et d’accès aux soins. Le Dr Amir Mahdjoubi, ophtalmologiste et membre du bureau de la Société Algérienne du Glaucome (SAG) ainsi que de l’Association des Ophtalmologistes Privés Algériens (AOPA), revient sur les options thérapeutiques actuelles, les innovations en cours et les défis rencontrés en Algérie.
Esseha: Quels sont les principaux traitements du glaucome disponibles aujourd’hui ?
Pr Amir Mahdjoubi: Avant tout, il faut savoir que le glaucome à angle ouvert est une neuropathie optique chronique dont l’étiologie précise n’est pas encore déterminée mais dont on connait les principaux facteurs de risques. Parmi eux, la pression intraoculaire (PIO) élevée qui est reconnue comme étant le principal facteur de risque et la baisse de celle-ci est quasiment la seule voie thérapeutique possible. Les autres facteurs de risque n’ont pas encore un traitement tels les facteurs héréditaires, ethniques ou oculaires (Syndrome exfoliatif, cornée fine, myopie…).
Esseha : Comment fonctionnent-ils ?
Pr Amir Mahdjoubi: Pour abaisser la PIO, on dispose actuellement d’une large palette comme le traitement médical (collyres, oral ou intraveineux), les lasers ou le traitement chirurgical.
Ils existent plusieurs classes thérapeutiques qui permettent d’augmenter l’excrétion de l’humeur aqueuse (prostaglandines) ou de réduire la sécrétion de l’humeur aqueuse (bêtabloquants, inhibiteurs de l’anhydrase carbonique, agoniste alpha2 sélectif).
Les lasers sont de plusieurs types : SLT qui agit par augmentation de l’excrétion de l’humeur aqueuse, le laser YAG qui permet une iridotomie périphérique lors d’un glaucome à angle fermé, ou enfin le laser diode qui permet de réduire la sécrétion de l’humeur aqueuse.
La chirurgie dite filtrante a pour objectif de shunter la voie d’excrétion classique par le trabéculum et fait dévier l’excrétion de l’humeur aqueuse vers l’espace sous conjonctival.
Enfin, il existe de plus en plus de traitement dits neuroprotecteurs qui visent à protéger le nerf optique mais qui n’ont pas encore complètement prouvés leurs efficacités.
Esseha: Dans quels cas privilégie-t-on le traitement médicamenteux (collyres) par rapport aux interventions chirurgicales ou au laser ?
Pr Amir Mahdjoubi: Généralement, on débute le traitement du glaucome par l’administration de collyres anti-hypotenseurs collyres. Ce traitement est facile à administrer par l’instillation d’une goutte dans les yeux et qui est dit traitement réversible (peut être interrompu). Les collyres sont facilement acceptés par les patients du fait de leur innocuité relative, même s’il peut y avoir des effets secondaires. De plus ils sont très efficaces surtout lors des glaucome débutants ou modérés pour ralentir l’évolution de la maladie. Les lasers sont de plus en plus utilisés notamment le SLT. Des études récentes ont prouvé l’efficacité du SLT comme traitement de première intention au même titre que les collyres. Cependant, il est parfois difficile de faire accepter au patient un traitement invasif d’emblée bien qu’il n’ait peu d’effets secondaires. Enfin, le traitement chirurgical reste une option de dernier choix, en cas d’échec du traitement médical et/ou du laser pour abaisser la PIO, au regard des complications potentiels (hypotonie majeure, cataracte, échec…). Toutefois, lorsque la chirurgie est indispensable, il ne faut hésiter à la réaliser.
Esseha: Quelles sont les avancées récentes en matière de traitement du glaucome, notamment les innovations technologiques ou thérapeutiques ?
Pr Amir Mahdjoubi: Les derniers avancés thérapeutiques touchent toutes les options thérapeutiques. De nouvelles molécules prometteuses arrivent tel que le latanoprostène bunod (Vyzulta) ou le nétarsudil (Rhopressa). La chirurgie du glaucome micro-invasives (MIGS) est aussi en plein essor et qui consiste à placer des dispositifs intra-oculaire pour abaisser la PIO tout en étant moins invasives que la chirurgie filtrante classique. Il y a aussi des implants biodégradables pour une baisse prolongée de la PIO. Toutefois, ces dispositifs sont pour le moment couteux ce qui limitent leur utilisation en Algérie.
Esseha: Quels sont les défis liés à l’observance des traitements du glaucome, et comment améliorer la prise en charge des patients à long terme ?
Pr Amir Mahdjoubi: L’observance est le grand défi auquel on fait face dans le traitement du glaucome. Les prostaglandines sont efficaces mais peuvent donner des rougeurs et des irritations oculaires ce qui peut réduire l’observance malgré l’instillation facile nocturne d’une seule goutte. De même, les bétabloquants peuvent être irritants ou donner des perturbations cardiaques ou pulmonaires. Cependant, ces effets secondaires sont souvent minimes et rarement graves. Pour améliorer l’observance, l’éducation thérapeutique est primordiale pour faire accepter aux patients ce traitement administré à vie. L’autre levier est la réduction des effets secondaires notamment lié aux conservateurs des collyres. Là-dessus de nombreux progrès sont réalisés avec l’apparition récente en Algérie de gamme de collyres non conservés que l’on espère voir s’élargir.
Esseha: Le traitement du glaucome en Algérie est-il accessible à tous ? Quelles sont les principales difficultés rencontrées en termes de disponibilité des soins et des médicaments ?
Pr Amir Mahdjoubi: Heureusement qu’en Algérie la majorité des classes thérapeutiques sont disponibles en continuité en officine. De même, des centres spécialisés dans la prise en charge chirurgicale du glaucome existent un peu partout en Algérie réalisant les lasers et la chirurgie du glaucome. Cependant, le glaucome n’est pas encore reconnu comme maladie chronique et une tranche de la population n’est pas remboursée pour ces traitements qui sont parfois couteux. Au sein de la Société Algérienne de Glaucome (SAG) on lutte pour faire accepter le glaucome comme Maladie Chronique auprès des autorités compétentes afin de faire bénéficier tous les glaucomateux de ces traitement qui sont dans la majorité des cas très efficaces pour ralentir l’évolution de la maladie.