Lorsqu’on évoque les moyens de prévenir le cancer, les recommandations habituelles reviennent invariablement : éviter le tabac, adopter une alimentation équilibrée, limiter l’exposition au soleil. Pourtant, un facteur essentiel demeure largement négligé : le sommeil. Des chercheurs du WSU Elson S. Floyd College of Medicine mettent en lumière son rôle déterminant, tant dans la prévention que dans l’efficacité des traitements.
Loin d’être un simple temps de repos, le sommeil influence profondément notre physiologie. Yool Lee, biologiste spécialisé en rythmes circadiens, s’intéresse à l’impact du cycle veille-sommeil sur l’efficacité des traitements anticancéreux. Selon lui, l’heure d’administration des médicaments pourrait jouer un rôle crucial dans leur efficacité. Ce principe, connu sous le nom de chronothérapie, repose sur le fait que l’activité biologique des cellules varie au fil de la journée.
En laboratoire, Lee et son équipe ont étudié le comportement de cellules cancéreuses issues d’ostéosarcomes et de glioblastomes, respectivement des cancers des os et du cerveau. Leur découverte est sans appel : certaines thérapies sont nettement plus efficaces lorsqu’elles sont administrées à des moments précis. « Les cellules d’ostéosarcome réagissent différemment selon l’heure à laquelle elles sont traitées », explique-t-il.
Au-delà du simple timing des traitements, Lee explore également le rôle des gènes horloges, ces régulateurs internes qui orchestrent le fonctionnement cellulaire. Les tumeurs sont constituées de deux types de cellules :
• Les cellules cancéreuses périphériques, plus accessibles aux traitements classiques.
• Les cellules souches tumorales, situées au cœur de la tumeur, plus résistantes et responsables des récidives.
En ciblant les gènes horloges au sein du noyau tumoral, les chercheurs ont réussi à accroître l’efficacité des traitements en détruisant ces cellules résistantes, limitant ainsi les risques de rechute.
L’influence du sommeil sur le cancer ne se limite pas aux traitements. Les études montrent que le manque de sommeil et les perturbations du rythme circadien affaiblissent la réponse immunitaire, facilitant ainsi l’apparition des tumeurs.
Chaque jour, notre organisme produit des milliers de cellules potentiellement cancéreuses. Normalement, le système immunitaire les détecte et les élimine grâce à des cellules spécialisées, les cellules cytotoxiques. Mais les recherches de Lee révèlent qu’une seule nuit de privation de sommeil suffit à altérer cette défense naturelle. En analysant des modèles de cancer du cerveau, il a observé que le manque de sommeil favorise un environnement pro-tumoral, où les cellules cancéreuses échappent plus facilement à la surveillance immunitaire.
Le lien entre sommeil et cancer est d’autant plus préoccupant pour les travailleurs de nuit. Selon la neuroscientifique Brieann Satterfield, environ 15 % de la population exerce des professions impliquant des horaires décalés, ce qui les expose à des risques accrus de maladies cardiovasculaires, d’obésité, de diabète et de dépression. Mais plus alarmant encore, depuis 2007, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) classe le travail de nuit parmi les probables cancérogènes.
Pour mieux comprendre les mécanismes en jeu, Satterfield et son équipe ont mené une expérience en laboratoire. Des volontaires, n’ayant jamais travaillé de nuit, ont été soumis à un cycle inversé pendant trois jours seulement. Résultat : leur ADN présentait déjà des dommages significatifs, notamment une altération des gènes impliqués dans la réparation cellulaire. Bien que ces effets se résorbent en reprenant un rythme normal, ils s’accumulent chez les travailleurs postés, augmentant leur vulnérabilité face au cancer.
Aujourd’hui, Satterfield mène une étude sur des travailleurs de nuit ayant au moins cinq ans d’expérience dans ces conditions. Son objectif : identifier les mécanismes biologiques sous-jacents pour proposer des stratégies de prévention adaptées.
Le cancer est une maladie complexe, aux causes multiples. Toutefois, les chercheurs du Sleep and Performance Research Center insistent sur un message clé : bien dormir est un levier simple et accessible pour réduire son risque de cancer.
Si l’on ne peut pas toujours éviter certains facteurs de risque, préserver un sommeil de qualité et aligné avec les rythmes biologiques naturels reste une action à la portée de tous. Les recherches en cours pourraient même déboucher sur des recommandations concrètes pour améliorer la prise en charge des patients et protéger les populations les plus exposées.
Nouhad Ourebzani