Si le simple mot “cafard” évoque instinctivement le dégoût et l’infestation, ces insectes méprisés pourraient pourtant devenir des alliés inattendus dans plusieurs secteurs clés, de la médecine à l’alimentation en passant par la gestion des déchets. En Chine, l’élevage de blattes prend une ampleur considérable, porté par des perspectives économiques et scientifiques prometteuses.
Un élevage florissant dans l’ombre
Loin d’être un phénomène marginal, l’élevage de cafards est devenu une industrie lucrative en Chine. Des centaines d’installations spécialisées élèvent ces insectes à grande échelle, à l’image de l’usine du groupe pharmaceutique Good Doctor Pharmaceutical, qui produit près de six milliards de cafards par an dans la ville de Xichang. Dans ces fermes high-tech, l’intelligence artificielle régule température, humidité et alimentation pour assurer une productivité optimale.
Pourquoi un tel engouement ? La réponse réside dans l’extraordinaire résilience des blattes : elles se reproduisent rapidement, consomment peu de ressources et sont peu sujettes aux maladies. En comparaison avec l’élevage de volailles ou de porcs, qui demande d’importants investissements et reste vulnérable aux épidémies, les cafards offrent des rendements élevés pour des coûts réduits.
Des applications médicales surprenantes
Loin de se limiter à l’alimentation animale, les cafards s’imposent aussi dans le domaine médical. La médecine traditionnelle chinoise utilise depuis longtemps leurs extraits pour traiter diverses affections, notamment les ulcères et les inflammations. Mais au-delà des croyances ancestrales, la science moderne commence à confirmer leur potentiel thérapeutique.
Des études ont révélé que les blattes sécrètent des peptides antimicrobiens capables de combattre des bactéries résistantes aux antibiotiques, telles que le SARM et E. coli. Ces propriétés suscitent l’intérêt des chercheurs en quête de nouvelles solutions contre les infections résistantes.
Les industries cosmétiques, elles aussi, s’intéressent aux blattes : leurs composés cellulosiques et leurs extraits sont étudiés pour leurs propriétés hydratantes et réparatrices. Certains produits de soin en Chine incorporeraient déjà discrètement ces substances.
Une source de protéines durable ?
Avec la croissance démographique mondiale et la nécessité de trouver des alternatives alimentaires durables, les insectes apparaissent comme une solution viable. Les cafards, riches en protéines, pourraient constituer une source alimentaire d’avenir, d’abord pour l’alimentation animale, puis, potentiellement, pour la consommation humaine.
Dans certaines provinces chinoises, des millions de blattes sont transformées en farine protéinée destinée aux élevages de volailles et aux piscicultures. Certains chercheurs explorent même la possibilité de développer des compléments alimentaires à base de blattes, citant notamment le cafard coléoptère du Pacifique, dont les cristaux de “lait” seraient trois fois plus nutritifs que le lait de vache.
Si l’idée d’ajouter des blattes au menu peut sembler inconcevable en Occident, elles sont déjà consommées dans certains pays d’Asie du Sud-Est sous forme de snacks frits.
Un atout pour la gestion des déchets
Au-delà de leurs applications médicales et nutritionnelles, les cafards pourraient aussi jouer un rôle crucial dans la gestion des déchets. En Chine, certaines fermes spécialisées utilisent ces insectes pour traiter des dizaines de tonnes de déchets alimentaires par jour, transformant ainsi des résidus organiques en biomasse utile.
Ce modèle, qui permet de réduire la pollution tout en produisant des protéines, pourrait inspirer de nouvelles solutions de recyclage durable à travers le monde.
Des défis et des résistances culturelles
Malgré ces perspectives fascinantes, l’élevage industriel des cafards soulève des défis majeurs. L’un des risques est la possibilité d’évasions massives, comme ce fut le cas en 2013 dans la province du Jiangsu, où plus d’un million de blattes se sont échappées, provoquant une panique générale.
De plus, la répulsion culturelle envers ces insectes demeure un obstacle de taille, notamment sur les marchés occidentaux. Si les Chinois sont plus réceptifs aux produits médicinaux à base de blattes, l’acceptation de ces insectes dans l’alimentation humaine ou la cosmétique reste limitée à l’échelle mondiale.
Un avenir inévitable ?
Malgré ces freins, l’élevage des cafards repose sur une logique économique et écologique difficile à ignorer. Avec la montée des préoccupations environnementales, la recherche de solutions alternatives en santé et en alimentation pourrait bien accélérer leur intégration dans divers secteurs.
Alors que le monde cherche à s’adapter aux défis du XXIᵉ siècle, ces insectes honnis pourraient bien, contre toute attente, devenir des piliers de l’innovation et du développement durable.
Nouhad Ourebzani