Entretien avec le Pr Chems Eddine Chekman: « Mieux comprendre et traiter le cancer de l’ovaire »

Le cancer de l’ovaire, souvent surnommé le « tueur silencieux », reste l’un des cancers gynécologiques les plus redoutés en raison de son diagnostic souvent tardif. Pour mieux comprendre cette maladie complexe, ses facteurs de risque, ses avancées thérapeutiques et les perspectives de rémission, nous avons rencontré le Pr Chems-eddine Chekman, Chef de service de chirurgie oncologique « C » ( clinique Debussy ) CPMC. À travers cet entretien, il nous parle des étapes clés de la prise en charge et des progrès récents qui redonnent espoir aux patientes.

Quels sont les principaux facteurs de risque associés au cancer de l’ovaire, et existe-t-il des mesures préventives pour réduire ces risques ?

Le cancer de l’ovaire est influencé par plusieurs facteurs de risque. L’âge est un élément majeur, le risque augmentant après 50 ans, particulièrement après la ménopause. Les antécédents familiaux jouent un rôle important, notamment en cas d’historique de cancers de l’ovaire, du sein ou du côlon chez des proches au premier degré. Les mutations génétiques, comme celles des gènes BRCA1 et BRCA2 ou liées au syndrome de Lynch, accroissent significativement le risque. L’histoire reproductive et l’imprégnation hormonale sont également déterminantes : l’absence de grossesses, une exposition hormonale prolongée due à des premières menstruations précoces ou une ménopause tardive, ainsi que des traitements hormonaux substitutifs prolongés, augmentent les probabilités de développer cette maladie. Par ailleurs, des conditions comme l’endométriose, l’obésité ou encore l’exposition à des substances environnementales, telles que l’amiante ou le talc (bien que débattu), constituent d’autres facteurs de risque.

Pour réduire ces risques, plusieurs mesures préventives peuvent être envisagées. L’utilisation prolongée de contraceptifs oraux, les grossesses et l’allaitement sont associés à une diminution du risque. Chez les femmes à haut risque génétique, une chirurgie préventive, comme la salpingo-ovariectomie, peut être envisagée. Adopter un mode de vie sain, avec une alimentation riche en fruits, légumes et fibres, ainsi qu’une activité physique régulière, contribue également à la prévention globale. Enfin, un suivi médical régulier, incluant des dépistages spécialisés pour les femmes à risque familial ou génétique, est essentiel pour détecter précocement d’éventuelles anomalies.

Pourriez-vous expliquer les étapes clés de la prise en charge du cancer de l’ovaire, depuis le diagnostic jusqu’au traitement, et les avancées récentes dans ce domaine ?

La prise en charge du cancer de l’ovaire débute par un diagnostic précis. Les symptômes étant souvent vagues (ballonnements, douleurs pelviennes, troubles digestifs), une consultation médicale est essentielle en cas de suspicion. Le diagnostic repose sur des examens cliniques (palpation abdominale et pelvienne), une échographie pelvienne ou transvaginale, et des tests biologiques, notamment le dosage du CA-125, bien que ce marqueur ne soit pas spécifique. Des examens d’imagerie avancée, tels que le scanner, l’IRM ou le TEP scan, permettent d’évaluer l’étendue de la maladie, complétés par une biopsie ou une analyse du liquide abdominal pour confirmer le diagnostic histologique et le type de cancer. La stadification selon la classification FIGO détermine l’étendue de la maladie et oriente le traitement.

Le traitement du cancer de l’ovaire combine généralement chirurgie et chimiothérapie. La chirurgie vise à enlever le maximum de tumeurs visibles, incluant souvent l’ablation des ovaires, des trompes de Fallope et de l’utérus, ainsi que des masses tumorales abdominales si possible. La chimiothérapie, utilisant des agents comme le carboplatine et le paclitaxel, peut être administrée avant (néoadjuvante) ou après (adjuvante) la chirurgie. Les thérapies ciblées, notamment les inhibiteurs de PARP (pour les patientes porteuses de mutations BRCA1/2) et les agents anti-angiogéniques comme le bévacizumab, représentent des avancées significatives. Bien que l’immunothérapie soit encore en phase exploratoire, elle ouvre des perspectives prometteuses. La radiothérapie est rarement utilisée, sauf pour des cas spécifiques, comme le soulagement de symptômes liés aux métastases.

Le suivi régulier inclut des examens cliniques, des dosages de CA-125 et des imageries pour surveiller les récidives, lesquelles peuvent nécessiter des traitements complémentaires comme la chirurgie secondaire, des cycles supplémentaires de chimiothérapie ou des thérapies ciblées. Les avancées récentes dans le domaine incluent la médecine personnalisée, qui utilise les tests génétiques pour cibler des traitements spécifiques, ainsi que la recherche de nouveaux biomarqueurs comme HE4 pour une détection précoce. Les combinaisons thérapeutiques, les thérapies innovantes (vaccins thérapeutiques, CAR-T cells) et les techniques chirurgicales avancées, telles que la chirurgie robotique, contribuent également à améliorer les taux de survie et la qualité de vie des patientes.

Quels sont les facteurs qui influencent les chances de guérison du cancer de l’ovaire ?

Les chances de guérison du cancer de l’ovaire dépendent de plusieurs facteurs. Le stade de la maladie au moment du diagnostic est le principal déterminant : les cancers détectés à un stade précoce (stade I), limités aux ovaires ou aux trompes de Fallope, présentent un taux de survie à 5 ans supérieur à 90 %. En revanche, aux stades avancés (III et IV), où la maladie s’est propagée à l’abdomen ou à d’autres organes, les chances de guérison diminuent, bien que les traitements puissent prolonger significativement la survie et permettre une rémission durable dans certains cas.

Le type et le grade du cancer influencent également le pronostic : les tumeurs de bas grade et certains types histologiques, comme les tumeurs mucineuses ou endométrioïdes, ont de meilleures perspectives par rapport aux carcinomes séreux de haut grade, plus agressifs. La qualité de la chirurgie initiale joue un rôle crucial. Une réduction tumorale optimale, avec une élimination complète ou quasi complète des masses visibles, améliore considérablement les résultats, soulignant l’importance de l’expertise chirurgicale. La réponse au traitement est également déterminante : les patientes répondant favorablement à la chimiothérapie, en particulier celles dont les tumeurs sont sensibles aux sels de platine comme le carboplatine, ont de meilleures chances de rémission.

Les facteurs biologiques et génétiques, tels que les mutations BRCA1 et BRCA2, augmentent l’efficacité des thérapies ciblées comme les inhibiteurs de PARP, tandis que la diminution ou l’absence de marqueurs tumoraux comme le CA-125 après traitement est un signe favorable. L’état de santé général et l’âge de la patiente influencent également la tolérance aux traitements. Une bonne santé globale et l’absence de comorbidités sévères permettent de supporter des interventions plus intensives. Enfin, un suivi médical régulier et une gestion rapide des récidives augmentent les chances de rémission prolongée. Une récidive localisée, détectée tôt et traitée efficacement, peut parfois être maîtrisée, offrant ainsi des perspectives d’amélioration significative de la survie.

Quand peut-on espérer une rémission complète ?

Une rémission complète du cancer de l’ovaire est possible dans plusieurs cas, notamment lorsque le diagnostic est posé à un stade précoce (stade I). Les patientes traitées par une chirurgie optimale suivie d’une chimiothérapie adaptée ont les meilleures chances de voir la maladie disparaître. Une rémission est également probable chez celles présentant une réponse complète au traitement, caractérisée par l’absence de tumeur détectable à l’imagerie et des marqueurs tumoraux normaux. Les patientes porteuses de mutations BRCA bénéficient particulièrement des traitements ciblés, comme les inhibiteurs de PARP, qui prolongent considérablement la rémission après une chimiothérapie.

Les avancées récentes renforcent ces perspectives. Les thérapies ciblées, notamment les inhibiteurs de PARP et les agents anti-angiogéniques comme le bévacizumab, augmentent la durée des rémissions. Grâce à la médecine personnalisée, les tests génétiques et moléculaires permettent d’adapter les traitements aux caractéristiques spécifiques de chaque patiente. De plus, les stratégies de maintenance, qui consistent à prolonger certains traitements après une réponse initiale, contribuent à réduire le risque de récidive, améliorant ainsi les chances de rémission durable.

Propos recueillis par Inès Fouzari

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