Dans cet entretien, nous avons le privilège d’échanger avec le Dr Amel Zertal Maître Assistante en Maladies Infectieuses à l’EHS El Hadi Flici (anciennement El Kettar) à Alger. Forte de son expertise en matière de VIH et de santé publique, le Dr Zertal nous livre ses connaissances approfondies sur la prise en charge des femmes enceintes séropositives, ainsi que sur les défis et les progrès réalisés dans la prévention de la transmission du VIH de la mère à l’enfant. Cet entretien nous permet d’explorer les stratégies actuelles en matière de prévention et de traitement, ainsi que les implications cliniques et sociales de cette problématique de santé publique.
Quelle est la situation épidémiologique actuelle du VIH en Algérie, et quelles sont les populations les plus concernées par l’épidémie ?
IL s’agit d’une épidémie à faible prévalence. 0,1% dans la population générale mais concentrée dans les populations clés. On note une tendance à l’augmentation, la contamination est hétérosexuelle dans (70 %). Les 25– 49 ans sont les plus touchés. Les enfants de moins de 15 ans constituent 3 % des cas pris en charge au niveau des Centres de Référence ( CDR) . Près de 50 % des cas sont des femmes.
Comment l’Algérie organise-t-elle la lutte contre le SIDA, et quels acteurs sont impliqués dans cette démarche multisectorielle ?
La lutte contre le VIH/SIDA en Algérie repose sur un engagement politique de haut niveau et une approche multisectorielle intégrant divers acteurs clés. Ce dispositif associe les institutions gouvernementales, la société civile, et les agences des Nations Unies, reflétant une volonté concertée de répondre efficacement à l’épidémie. Depuis 1989, l’Algérie a élaboré et mis en œuvre une série de plans nationaux de lutte contre le VIH, les infections sexuellement transmissibles (IST) et le SIDA. Ces plans stratégiques, régulièrement actualisés, définissent les priorités et les objectifs à atteindre pour contrôler la propagation du virus.
Quelles sont les principales stratégies mises en place en Algérie pour éliminer la transmission du VIH de la mère à l’enfant, et quels sont les objectifs ?
En 2011, dans le cadre du Plan mondial pour l’élimination de la transmission mère-enfant du VIH (eTME), l’Assemblée Générale des Nations Unies a adopté un plan mondial ambitieux. Ses objectifs sont clairs : réduire de 90 % les nouvelles infections à VIH chez les enfants nés de mères séropositives et diminuer de 50 % les décès maternels liés au SIDA. En Algérie, cette priorité a été intégrée dans le Plan Stratégique National 2012-2015, ainsi que dans les plans ultérieurs, faisant de l’élimination de la transmission verticale du VIH un axe central de la lutte contre le SIDA. La stratégie actuelle d’eTME vise, d’ici 2024, à réduire à moins de 2 % le taux de transmission du VIH de la mère à l’enfant. Cette approche élargie inclut également la lutte contre l’hépatite B et la syphilis dans une vision de « triple élimination », devenant ainsi une priorité mondiale de santé publique. La vision stratégique de l’Algérie est celle d’un avenir où aucune nouvelle infection à VIH, hépatite B ou syphilis chez l’enfant ne serait causée par une transmission verticale. Cette ambition s’inscrit dans les défis à relever pour atteindre les Objectifs de Développement Durable (ODD) d’ici 2030. La stratégie nationale d’eTME repose sur trois axes principaux : La prévention primaire chez les femmes en âge de procréer, visant à réduire de 50 % l’incidence des nouvelles infections à VIH. L’offre de soins et de traitements aux mères et enfants infectés, afin d’assurer la survie de 75 % d’entre eux.
La prévention de la transmission du VIH de la mère à l’enfant, avec un objectif de réduction de 90 % de cette transmission verticale. Pour atteindre ces objectifs, deux interventions stratégiques principales sont mises en œuvre : Conseils et dépistage systématique de toute femme en âge de procréer. Traitement antirétroviral pour toute femme enceinte séropositive, initié dès que possible. Ces efforts s’inscrivent dans une dynamique globale visant à protéger les générations futures et à mettre fin à la transmission verticale des infections graves en Algérie.
Quelles sont les principales périodes où le VIH peut être transmis de la mère à l’enfant, et quels facteurs augmentent ce risque ?
La transmission du VIH de la mère à l’enfant, aussi appelée transmission verticale, peut survenir à trois moments clés de la grossesse et après la naissance. Ces périodes sont cruciales pour comprendre les risques et les mesures préventives nécessaires.
– Pendant la grossesse : Le VIH peut traverser le placenta et infecter le fœtus. Bien que le risque de transmission prénatale soit relativement faible, certains facteurs peuvent l’augmenter. Une charge virale élevée chez la mère, des infections concomitantes comme des infections sexuellement transmissibles (IST), ou une rupture prématurée des membranes augmentent le risque de transmission du VIH au fœtus.
– Lors de l’accouchement : L’accouchement est le principal moment où la transmission du VIH à l’enfant peut se produire. Le bébé peut entrer en contact avec le sang ou les sécrétions vaginales infectées de la mère. Les accouchements prolongés ou traumatiques, ainsi que certaines interventions invasives comme l’épisiotomie, peuvent accroître le risque de transmission.
– Pendant l’allaitement : Le VIH peut également être transmis au nourrisson par le lait maternel, en particulier si la mère est séropositive et qu’elle n’a pas suivi un traitement antirétroviral (TAR) efficace.
Quant au facteurs augmentant le risque de transmission , on peut citer
– L’absence de traitement antirétroviral chez la mère augmente considérablement le risque de transmission du VIH.
– Une charge virale élevée chez la mère, qui signifie une quantité importante du virus dans le sang, favorise également la transmission.
– La présence de coinfections, comme l’hépatite B, l’hépatite C ou la syphilis, augmente les risques de transmission du VIH.
– La prématurité du bébé est un facteur de risque supplémentaire, car les nourrissons prématurés ont un système immunitaire plus fragile.
– Un allaitement prolongé ou mixte (allaitement maternel et alimentation artificielle) expose le nourrisson à un risque de contamination accru.
Ces différents facteurs soulignent l’importance d’une prise en charge médicale adaptée pour prévenir la transmission du VIH de la mère à l’enfant, notamment par un traitement antirétroviral efficace, un suivi médical strict et des conseils appropriés lors de la grossesse et après l’accouchement.
Quels sont les moyens de prévention pour éviter la transmission du VIH de la mère à l’enfant ?
La prévention de la transmission du VIH de la mère à l’enfant repose sur des mesures clés pendant la grossesse, l’accouchement et l’allaitement, et la mise en place d’un suivi médical rigoureux. Il faut savoir que le traitement antirétroviral (TAR) est essentiel pour réduire la charge virale chez la mère, ce qui limite considérablement le risque de transmission du VIH à l’enfant. Lorsqu’il est administré de manière efficace pendant la grossesse, le TAR peut réduire le risque de transmission à moins de 1 %. En effet, un traitement efficace permet d’obtenir une charge virale indétectable, ce qui signifie qu’il n’y a pratiquement aucune possibilité de transmission du virus à l’enfant (indétectable = intransmissible). ensuite le mode d’accouchement est un facteur important pour minimiser le risque de transmission. En cas de charge virale élevée (>1 000 copies/mL) ou inconnue, une césarienne programmée est souvent recommandée, car elle réduit le contact direct entre le sang et les sécrétions infectées. Si la charge virale est indétectable ou faible, un accouchement par voie basse peut être envisagé en toute sécurité. Et puis il on peut parler de la prophylaxie pour le nouveau-né : Une fois l’enfant né, il est crucial de lui administrer des antirétroviraux dans les premières heures de sa vie pour minimiser les risques de contamination. De plus, l’allaitement maternel est formellement proscrit, car le VIH peut être transmis par le lait maternel. Et si on trace un résumé des moyens de prévention :
– Dépistage systématique de toutes les femmes enceintes, quel que soit l’âge de la grossesse, afin de détecter le VIH le plus tôt possible.
– Traitement ARV précoce pour toute femme séropositive, afin de réduire la charge virale et prévenir la transmission.
– Suppression de la charge virale par le traitement pour atteindre un statut indétectable.
– Choix du mode d’accouchement en fonction de la charge virale : césarienne programmée si la charge virale est détectable ou accouchement par voie basse si elle est indétectable.
– Interdiction de l’allaitement maternel, afin d’éviter la transmission du virus par le lait.
Il est important de noter que la grossesse n’aggrave pas le VIH, mais elle peut parfois servir de porte d’entrée pour accéder aux soins et à une prise en charge appropriée. Une femme enceinte dépistée positive et suivie de manière adéquate avec un traitement ARV, ayant une charge virale indétectable, peut donner naissance à un enfant sain, à condition que le suivi du nouveau-né soit également effectué. Ce suivi permet de garantir que l’enfant reste en bonne santé et qu’il ne développe pas d’infection par le VIH. Ainsi, grâce à des mesures préventives efficaces et à une prise en charge médicale adaptée, la transmission du VIH de la mère à l’enfant peut être pratiquement éliminée, assurant une vie saine pour la mère et l’enfant.