Et si la jaunisse protégeait du paludisme ? Une découverte métabolique bouscule les certitudes médicales

Une découverte inattendue, publiée dans la revue Science, vient bouleverser la compréhension du paludisme et des défenses naturelles de l’organisme humain. Longtemps perçue comme un simple symptôme d’alerte lié à une atteinte hépatique, la jaunisse — ou plus précisément la présence accrue de bilirubine non conjuguée dans le sang — pourrait en réalité constituer un puissant mécanisme de résistance contre Plasmodium falciparum, le parasite le plus redouté du paludisme.

L’étude, menée par une équipe internationale dirigée par le Pr. Artur Figueiredo, repose sur l’analyse métabolique approfondie de patients infectés dans différentes régions d’Afrique. Elle montre que les individus asymptomatiques — c’est-à-dire porteurs du parasite sans développer la maladie — présentent systématiquement un taux élevé de bilirubine libre. Ce lien inverse entre charge parasitaire et concentration de ce pigment sanguin, souvent classé à tort parmi les simples déchets biologiques, a attiré l’attention des chercheurs sur un mécanisme jusque-là inexploré.

Les expérimentations en laboratoire sont venues appuyer cette intuition clinique. Chez des souris génétiquement modifiées pour ne plus produire de bilirubine libre, l’infection évolue plus rapidement vers des formes graves, avec une mortalité accrue. En revanche, lorsqu’on inhibe l’enzyme chargée d’éliminer cette molécule dans le foie, les animaux semblent partiellement protégés contre le parasite. Ce basculement expérimental révèle un mécanisme de défense naturel, agissant en silence à l’échelle métabolique.

Mais comment une molécule réputée toxique peut-elle freiner un parasite aussi redoutable ? L’étude détaille deux cibles internes du parasite affectées par la bilirubine : son métabolisme énergétique et son système digestif intracellulaire. En bloquant la production des pyrimidines nécessaires à la réplication du parasite, puis en empêchant la neutralisation du fer libéré par la dégradation de l’hémoglobine, la bilirubine affaiblit la structure interne du parasite, réduisant sa capacité à se multiplier dans les globules rouges.

Cette percée scientifique ouvre une nouvelle voie dans la lutte contre le paludisme. Plutôt que de cibler le parasite de manière directe, au risque de provoquer l’émergence de résistances médicamenteuses, elle invite à renforcer les capacités naturelles de défense de l’organisme par des approches métaboliques douces mais efficaces. En réévaluant le rôle physiologique de substances jusqu’ici marginalisées, cette recherche remet en cause certaines certitudes thérapeutiques, tout en soulignant le potentiel de stratégies endogènes dans la prévention des maladies infectieuses.

La bilirubine, longtemps confinée au statut d’indicateur clinique, pourrait devenir une véritable alliée dans les politiques de santé publique en zones endémiques. Ce tournant conceptuel illustre combien la science des maladies infectieuses reste un champ d’exploration vivant, où les réponses les plus inattendues peuvent surgir au cœur même du métabolisme humain.

Nouhad Ourebzani

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