En 1953, la Grande-Bretagne a mis fin au rationnement alimentaire imposé pendant et après la Seconde Guerre mondiale, marquant un tournant dans l’histoire nutritionnelle du pays. Une étude récente, publiée dans Science, a exploité cette période pour analyser l’impact de la consommation de sucre pendant les 1 000 premiers jours de la vie — période allant de la conception jusqu’au deuxième anniversaire — sur le développement futur de maladies chroniques. Les résultats révèlent des découvertes marquantes sur les conséquences à long terme de la nutrition précoce.
Une étude inédite sur l’impact à long terme du sucre
L’équipe de recherche a analysé des données provenant de la UK Biobank, englobant plus de 60 000 individus. L’objectif était de comparer la santé de ceux exposés au rationnement du sucre à celle des enfants conçus après la fin de ces restrictions. Les résultats sont sans équivoque : les enfants qui ont grandi avec une exposition limitée au sucre pendant la période prénatale et les premières années de leur vie présentaient un risque inférieur de 35 % de développer un diabète de type 2 et un risque réduit de 20 % d’hypertension artérielle à l’âge adulte. Les personnes nées pendant la période de rationnement ont également développé ces maladies chroniques plus tard dans leur vie — environ quatre ans plus tard pour le diabète de type 2 et deux ans plus tard pour l’hypertension.
L’ombre de l’après-guerre et ses leçons nutritionnelles
L’après-guerre a été marqué par une réalité alimentaire stricte, qui s’est traduite par un rationnement minutieux de denrées essentielles, y compris le sucre. En septembre 1953, la consommation quotidienne moyenne de sucre des Britanniques est passée de 41 grammes — une quantité correspondant aux recommandations actuelles de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) — à 80 grammes par jour. Cet afflux soudain a permis de comparer de manière naturelle l’impact nutritionnel avant et après la levée des restrictions.
Tadeja Gracner, économiste de la santé à l’Université de Californie du Sud et auteure de l’étude, souligne l’importance de cette période pour comprendre les effets de la nutrition prénatale. « Nous ne prétendons pas que la réduction du sucre élimine les risques de maladies, mais qu’elle peut retarder leur apparition de plusieurs années, ce qui est un bénéfice inestimable », affirme-t-elle. L’étude souligne aussi que, malgré la fin du rationnement, les diagnostics de diabète de type 1, non liés à l’alimentation, sont restés constants, ce qui renforce l’hypothèse d’une influence directe du sucre sur les maladies étudiées.
Les limites de l’étude et les réflexions critiques
Si l’étude est saluée pour son originalité et l’exploitation d’une « expérience naturelle » historique, certains experts, comme Bob Siegel, du Centre pour une meilleure santé et nutrition de l’hôpital pour enfants de Cincinnati, mettent en garde contre la tentation de conclure à une causalité absolue en raison de la nature observationnelle de l’étude. « Cette étude est fascinante, mais elle n’offre pas de preuve irréfutable. Cependant, elle s’ajoute aux nombreux arguments selon lesquels limiter le sucre est bénéfique pour la santé », indique-t-il.
En outre, bien que la cohorte étudiée soit large, la UK Biobank ne représente pas l’ensemble de la population britannique, étant majoritairement composée d’individus en meilleure santé et plus aisés. D’autres facteurs, tels que les changements de mode de vie au début des années 1950, pourraient également avoir influencé les résultats.
Une question de santé publique et d’éducation nutritionnelle
Les experts s’accordent sur un point : la prévention commence tôt, et la consommation de sucre pendant la grossesse et les premières années de vie peut influencer les habitudes alimentaires pour le reste de la vie. Caroline Apovian, endocrinologue à Boston, souligne l’importance de cette étude dans le contexte actuel marqué par l’essor des aliments ultra-transformés et une consommation de sucre élevée. « Cette étude montre que les préférences alimentaires se forment dès le plus jeune âge et peuvent avoir des effets à long terme sur la santé », explique-t-elle.
L’un des enseignements majeurs de cette étude est la nécessité de repenser les politiques alimentaires, en particulier pour les populations vulnérables. « L’obésité touche surtout les personnes des classes socioéconomiques les plus basses, et la disponibilité d’aliments sains reste limitée », rappelle Apovian, mettant en avant le rôle de l’environnement dans la formation des choix alimentaires.
Vers une prise de conscience élargie
Gracner envisage de poursuivre ses recherches en explorant des domaines connexes tels que l’épigénétique et la santé intestinale, pour mieux comprendre comment les premières expositions au sucre modifient la santé sur le long terme. En attendant, l’étude reste une incitation pour les politiques publiques à promouvoir une alimentation équilibrée dès les premières étapes de la vie.
En fin de compte, les résultats de cette étude posent la question de savoir si des régulations plus strictes sur la consommation de sucre pourraient offrir des avantages durables pour la santé publique. La modération pourrait bien être la clé, comme le démontrent les leçons d’une époque marquée par la résilience face à l’adversité.
Nouhad Ourebzani