À l’occasion de la Journée mondiale du diabète, nous mettons en lumière un aspect souvent méconnu de cette maladie : ses répercussions sur la santé oculaire. Le diabète peut en effet entraîner des complications graves pour les yeux, telles que la rétinopathie diabétique, le glaucome et même la cécité. Pour mieux comprendre ces risques et les moyens de les prévenir, nous avons sollicité le docteur Abdelkader Messadi un spécialiste en ophtalmologie, qui a bien voulu partager avec nous son expertise et ses conseils pour préserver la santé oculaire des personnes diabétiques.
Quels sont les effets du diabète sur la santé des yeux et pourquoi les personnes diabétiques sont -elles plus exposées aux troubles visuels ?
Avec la recrudescence de la maladie diabétique favorisée par une alimentation déséquilibrée très riche en sucre et en graisses source de surpoids et associée à une sédentarité,on constate une augmentation exponentielle de cette pathologie qui touchait 8% dans les années 2000 pour atteindre actuellement la barre des 16 % de la population selon les données récentes et ceci nonobstant des cas non dépistés. En effet, on considère que 20% des patients diabétiques présentent des complications oculaires constatées lors de la découverte même du diabète.
Ceci témoigne de deux choses :
-que le diabète est une maladie insidieuse et qui ne s’exprime que lors des complications.
-que la meilleure prévention des complications repose sur le dépistage de masse compte tenu du fait que l’on est en face d’un véritable problème de santé publique.
Les statistiques révèlent que 30% des diabétique présenteront des complications après 10 ans d’évolution de la maladie et 50% d’entre eux en seront atteints après 15 ans d’évolution.
Ceci est d’autant plus favorisé par un état de déséquilibre récurrent de la maladie.
Pour revenir à votre question : Les complications toucheront trois pôles du patient diabétique et de façon statistiquement équivalente:soit dans 30% des cas, le cœur, le rein et les yeux du diabétique seront sujets aux complications. Nous nous limiterons à l’aspect ophtalmologique : En effet, l’œil du patient diabétique sera plus vulnérable aux infections de la surface oculaire notamment lors de la chirurgie oculaire ou chez les porteurs de lentilles de contact.
Les patients sont également exposés de façon plus fréquente à la survenue d’une cataracte qui apparaît plus précocement que chez le reste de la population. On considère aussi que le diabète est un facteur de risque secondaire du glaucome à l’instar des autres facteurs vasculaires
Mais la complication majeure qui guette le diabétique reste la retinopathie qui non dépistée précocement et non prise en charge, peut conduire à une diminution progressive et irréversible du degré de l’acuité visuelle et conduire à la cécité. C’est ainsi que la retinopathie diabétique est considérée comme l’une des 5 principales causes de cécité chez les personnes de plus de 65 ans.
Pourquoi les patients souffrant de diabète sont plus exposés aux troubles visuels ? Pour cela il faut comprendre que si l’hypertension artérielle est considérée comme une maladie touchant les gros vaisseaux, à l’inverse, le diabète est une maladie qui atteint les petits vaisseaux : d’où la terminologie de maladie micro vasculaire. Et ceci explique : les organes privilégiés par les complications : coronaires, maladie rénale chronique et atteinte micro vasculaire rétinienne.
Le diabète se manifeste par une obstruction des petits vaisseaux sanguins présents dans la rétine entraînant une insuffisance d’irrigation des tissus rétiniens qui par manque d’oxygène s’asphyxient ce qui provoque la mort des cellules photoréceptrices et l’apparition de vastes territoires ischémiques ( morts).
Pouvez-vous expliquer les différentes étapes de la retinopathie diabétique et comment elle se manifeste chez les patients ?
Pour cela il faut distinguer les deux types de diabète.
-Celui de l’enfant et du sujet jeune appelé diabète de type 1 ou le mécanisme de la retinopathie est lié à une obstruction micro vasculaire conduisant à la non perfusion de vastes territoires de la rétine qui deviennent des zones mortes ( retinopathie ischémique)avec comme conséquence la fabrication de ce qu’on appelle les facteurs de croissance vasculaire (VEGFS:vascular endothelial growth factor )qui fabriqueront des neovaisseaux pour essayer de ressusciter les zones de rétine mortes mais qui malheureusement vont être souvent source de complications du fait de leur fragilité en déclenchant des hémorragies rétiniennes voire hémorragie massive du vitré conduisant à une baisse brutale de la vision . -Le cas du diabète du patient âgé dénommé diabète de type 2 est différent. En effet dans ce cas on observe une dilatation des micro vaisseaux rétiniens conduisant à absence d’étanchéité de leur paroi déclenchant une exsudation et un gonflement de la rétine . C’est ce qu’on appelle la retinopathie œdémateuse . Cet œdème a comme zone de prédilection le centre de la rétine dénommée : macula, d’où la terminologie d’œdème maculaire La macula étant la région la plus sensible de la rétine et qui participe à 90% de la performance visuelle, l’expression de cet œdème se fera par une baisse progressive et insidieuse de l’acuité visuelle. On comprend que chez l’adulte la maladie évolue à bas bruit ce qui fait sa dangerosité.
Quels sont les signes précurseurs d’une complication oculaire liée au diabète et quand est -il recommandé de consulter un ophtalmologiste ?
les signes précurseurs d’une complication liée au diabète sont différents selon qu’il s’agit d’un enfant ou d’un adolescent ou d’un sujet âgé. Si pour les sujets atteints de diabète de type 1, les atteintes rétiniennes sont souvent localisées loin de la région centrale (macula), les symptômes sont souvent observés quand la maladie s’est propagée de façon marquée ou même lorsque survient une complication majeure telle l’hémorragie massive dans la cavité vitréenne . Pour le cas du patient âgé, l’atteinte rétinienne prédominante est souvent l’œdème maculaire et les signes précurseurs consistent en l’apparition d’une vision floue progressive. Dans tous les cas, la meilleure prévention reste le dépistage précoce des complications puisque les lésions sont souvent silencieuses et évoluent insidieusement et à bas bruit. Une mention spéciale sera réservée à une certaine catégorie de patients. Je citerai l’adolescence qui reste une période critique avec la flambée hormonale qui favorise le déclenchement de la retinopathie floride très grave et source de complications hémorragiques rétiniennes et intra vitréennes.Le cas de la femme enceinte qui pour les mêmes raisons ( hormones) est exposée à la survenue ou à l’aggravation d’une retinopathie diabétique.
Enfin le cas des patients diabétiques présentant une cataracte et candidats à la chirurgie. Chez ce type de patients, le dépistage de la retinopathie est un préalable avant la chirurgie de la cataracte car le geste opératoire est connu comme facteur de risque d’aggravation d’une retinopathie, d’où l’importance d’une surveillance particulière en post opératoire sur plusieurs mois ou années.
Quelles sont les options de prévention et de traitement pour minimiser les risques de perte de vision chez les personnes diabétiques ?
Excellente question ! Le meilleur traitement restera la prévention.
Il ne faut pas attendre les complications pour réagir car souvent il n’y a pas de retour en arrière. Ce qui est perdu est irrécupérable surtout quand il s’agit d’une retinopathie ischémique du sujet jeune chez qui le traitement vise simplement à stopper l’évolution de la maladie. En effet, si les complications rétiniennes s’installent , le traitement est variable selon qu’il s’agit d’un adolescent ou d’un adulte jeune, chez qui, nous l’avons dit, la retinopathie est de type ischémique avec risque de prolifération néovasculaire qui conduit à l’apparition d’hémorragies. Chez ces patients, il faut traiter toutes les zones ischémiques ( mortes) par une photo coagulation au laser Argon pour les exclure et éviter la formation de neovaisseaux. À l’inverse, l’œdème maculaire du sujet âgé se traite grâce à des séries d’injections intra oculaires ( intra vitréennes) d’antiVEGFS ou selon les nouvelles recommandations par des dispositifs de corticoïdes en injections intra vitréennes. Dans les cas très sévères, ou l’on observe l’apparition d’une hémorragie intra vitréenne ou d’un décollement de rétine par prolifération retino vitréenne , il faut recourir à une chirurgie endoculaire. Quant à l’aspect préventif : Nous donnerons quelques recommandations essentielles. Il faut retarder au maximum la survenue des complications par un équilibre strict du diabète et de l’hypertension artérielle souvent associée avec des chiffres de HBA1C :autour de 7% et de la tension artérielle à moins de 130/70. Associés à une activité physique régulière consistant à une demi heure de marche quotidienne. La réalisation d’un examen du fond d’œil par technique non invasive de retinophotos sans recours à l’instillation de gouttes ( élément qui dissuade beaucoup de patients) dès l’apparition du diabète avec contrôle annuel si l’on n’observe aucune lésion. Si des lésions initiales sont observées, le contrôle sera semestriel voire trimestriel chez l’adolescent ou la femme enceinte. Enfin l’ophtalmologiste pratiquera d’autres examens complémentaires si l’état clinique l’exige.
Propos recueillis par Ines Fouzari