Hémophilie en Algérie : entre progrès, défis et attentes

Entretien avec Latifa Lamhene, présidente de l’Association nationale des hémophiles

Entretien réalisé par Amina Azoune

À l’occasion de la Journée mondiale de l’hémophilie, Esseha donne la parole à Latifa Lamhene, figure de référence dans la défense des droits des personnes atteintes de troubles de la coagulation en Algérie. Elle revient ici sur les progrès accomplis ces dernières années, les défis persistants, et les attentes fortes exprimées par les malades et leurs familles.

Esseha : Comment évaluez-vous aujourd’hui la prise en charge des personnes atteintes d’hémophilie en Algérie, notamment en ce qui concerne la disponibilité des traitements et la formation du personnel médical ?

Latifa Lamhene : La prise en charge a connu une évolution notable, notamment grâce à la disponibilité de traitements efficaces. Cela nous a permis de mettre en place des protocoles de prophylaxie pour la quasi-totalité des enfants, mais aussi pour une part croissante des adultes hémophiles. La disponibilité des médicaments à domicile a considérablement réduit le risque de handicap, souvent redouté dans cette pathologie.

Un travail soutenu a également été mené en matière de formation du personnel médical et d’éducation thérapeutique des patients, contribuant ainsi à une meilleure qualité de prise en charge. Cela dit, l’année 2024 a été marquée par des perturbations dans l’approvisionnement en médicaments, forçant certains patients à suspendre leur traitement préventif. Ce type de rupture peut être dramatique, car un seul saignement non pris en charge peut avoir des conséquences irréversibles, voire fatales.

Esseha : Quels sont les principaux défis que vous rencontrez en tant qu’association dans l’accompagnement des malades et la défense de leurs droits ?

Latifa Lamhene : Notre plus grand défi reste la garantie d’un accès équitable et durable à des traitements de qualité, répondant aux normes internationales. Il s’agit d’un devoir moral envers les patients, quel que soit leur lieu de résidence. L’objectif est clair : offrir des soins de qualité dès l’enfance pour permettre à ces futurs adultes de mener une vie productive, épanouie et intégrée dans la société.

Au fond, investir dans la santé, c’est aussi investir dans le développement économique à long terme. Une bonne santé du patient est un facteur de croissance et de stabilité sociale.

Esseha : Existe-t-il une coordination effective entre votre association et les autorités sanitaires pour améliorer la prise en charge des patients hémophiles ?

Latifa Lamhene : Nous avons collaboré étroitement avec le ministère de la Santé, en particulier avec la direction de la prévention. Depuis 2012, plusieurs programmes ont été mis en place sous l’impulsion du Pr Mesbah, puis poursuivis avec le Pr Fourar, que je tiens à remercier pour leur écoute et leur engagement.

Je souhaite également rendre un hommage appuyé au Dr Nadir Djamila, qui a toujours été profondément investie dans la cause des hémophiles. Son départ à la retraite en mars 2025 représente une perte considérable pour le secteur. Son dévouement, tant humain que professionnel, laissera un grand vide.

Esseha : Quelles sont vos principales attentes pour les années à venir, que ce soit en matière législative, d’accès aux soins ou d’accompagnement des patients ?

Latifa Lamhene : Il est urgent de revoir les mécanismes d’enregistrement des médicaments afin de garantir aux patients un accès aux traitements les plus sûrs et les plus performants. Les malades, aujourd’hui bien informés, réclament légitimement des soins à la hauteur des standards internationaux.

Il faut savoir qu’à l’échelle mondiale, certains pays offrent déjà des traitements par thérapie génique. Les patients traités témoignent d’une nette amélioration de leur qualité de vie. Nous ne pouvons accepter que nos malades soient à la traîne. Ils ont droit, eux aussi, au meilleur.

Nous demandons aussi l’introduction d’un traitement moins contraignant, administrable par voie sous-cutanée au lieu de l’actuelle voie intraveineuse. Ce produit est disponible dans la majorité des pays, souvent même par le biais de dons. Pourtant, il se fait toujours attendre en Algérie.

Esseha : Quel est le thème retenu pour la Journée mondiale de l’hémophilie cette année ?

Latifa Lamhene : Le thème de cette année est : « Les filles et les femmes saignent aussi ». Cette journée met en lumière une réalité encore trop ignorée : de nombreuses femmes souffrent de troubles de la coagulation sans être diagnostiquées. Leurs symptômes — menstruations abondantes, anémies, complications post-accouchement — sont souvent banalisés ou mal interprétés.

La Fédération mondiale de l’hémophilie insiste cette année sur l’importance de reconnaître ces troubles chez les femmes et les jeunes filles, souvent exclues des circuits de diagnostic et de prise en charge. Il est temps de briser le silence et de faire évoluer les mentalités médicales : l’hémophilie et les troubles hémorragiques concernent aussi les femmes. Nos médecins doivent en tenir compte, pour que toutes les malades aient, elles aussi, accès au diagnostic et aux soins appropriés.

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